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La situation politique actuelle au Maroc.

 

On ne peut comprendre la situation politique actuelle au Maroc en se limitant à l'avant-scène politique et aux discours des forces politiques, et en général à ce qu’on appelle' ' jeu politique' ' . Il faut , au contraire, considérer ces discours et ce ' ' jeu politique' ' comme un reflet déformé d’une réalité plus profonde constituée par la lutte de classes qui se passe dans notre société dans le cadre d’un rapport de forces déterminé aux plans national, régional et international dans la phase actuelle.

Cette lutte de classe est déterminée, depuis quelques années, par l'aiguisement sans précédent de la crise du capitalisme dépendant et du pouvoir makhzen qui veille à en assurer la pérennité au Maroc. Dans ce contexte, les classes dominantes et les classes moyennes cherchent une issue à la crise leur permettant de préserver leurs intérêts, alors que la classe ouvrière et les classes laborieuses en général qui n’ont pas d’instruments politiques propres doivent profiter de cette crise pour développer leurs luttes et leur organisation sur la voie de la réalisation de leurs objectifs consistant à se libérer de l'oppression, du despotisme et de l’exploitation.

 

L'aiguisement de la crise du capitalisme dépendant et du système makhzen conduit à l'exacerbation de la lutte de classes et à une plus grande clarification de la nature des projets proposés pour dépasser la crise, et ce en dépit des tentatives des classes dominantes et moyennes de voiler la réalité en essayant de faire croire que leurs projets visent à assurer le salut de la ' ' patrie' ' et du peuple alors que ces projets servent leurs intérêts de classe. Or, étant donné que la lutte du peuple marocain et de ses forces radicales pendant les quatre dernières décennies a joué un rôle décisif dans la mise à nu de la nature despotique et répressive du régime, a posé la question de la démocratie et des droits humains comme une des revendications vitales de notre peuple et a pu gagner la sympathie et le soutien de l'opinion publique internationale, toutes les forces politiques, dont celles fondées par d’anciens tortionnaires comme le mouvement du commissaire Archane, se réclament de la démocratie . Aussi faut-il dépasser le discours général sur la démocratie et tenter de mettre à nu les intérêts de classe qui se cachent derrière ces discours.

On peut, de façon générale, considérer qu’il y a une lutte entre trois projets principaux :

¬ Le premier projet est un projet antidémocratique makhzénien exprimant les intérêts des mafias makhzen qui dominent l'état et ses appareils civils, policiers et militaires et des classes parasitaires des grands propriétaires terriens, des agents des sociétés transnationales et du capital monopoliste.

­ Le deuxième projet est porté par l'aile libérale au sein du pouvoir et représente les intérêts de la bourgeoisie moderne non monopoliste plus liée aux activités productives.

Il est soutenu par les forces de la koutla démocratique ( bloc démocratique) et par les éléments éclairés des couches technobureaucratiques.

® Le troisième projet exprime les intérêts de la classe ouvrière et des classes laborieuses et populaires en général : c’est le projet démocratique radical.

 

 

 

1) Le projet antidémocratique makhzénien.

Ce projet se caractérise comme suit :

 

Sur le plan politique : Ce projet tente de se cacher derrière un discours sur la démocratie pour dévoyer les revendications démocratiques de notre peuple, et ce en atténuant ou liquidant les aspects les plus scandaleux et les plus ignobles de le pratique du pouvoir tout en sauvegardant les structures et les appareils qui en sont responsables et en préservant l'essence du régime politique, économique et social dominant. Ceci apparaît comme suit :

- Libération de la majorité des détenus politiques, retour des exilés et solution partielle du problème des disparus, mais refus de juger les responsables de ces crimes et de dissoudre les appareils secrets responsables de ces pratiques.

- Discours sur l'établissement d’un régime démocratique tout en imposant une constitution antidémocratique dans son élaboration, son contenu et sa ratification, une constitution qui légalise le pouvoir personnel et le despotisme du makhzen.

- Discours sur " l'état des institutions " alors que la majorité de ces institutions sont basées sur des élections traquées ou sont désignées par en haut ou privées de véritables prérogatives quant à la définition des orientations stratégiques du pays, un gouvernement formel où les ministres dits de souveraineté nommés par le roi Hassan II et Mohammed VI occupent les positions sensibles et les centres du pouvoir alors que le premier ministre n’a aucun pouvoir sur eux ni sur l'administration territoriale (les gouverneurs et les walis).

- Discours sur l'état de droit et de justice alors que la torture continue d’être pratiquée, parfois jusqu’à ce que mort s’ensuive, que nombre de militants sont privés de passeports, que des organisations politiques et des associations ne sont pas reconnues ( citons, à titre d’exemple, ' ' Annahj Addimocrati' ' , ' ' La Voie Démocratique' ' et l'Association Nationale des Diplômés Chômeurs) et que la législation marocaine est souvent en contradiction avec les chartes et conventions des droits de l'homme que le Maroc a ratifiées et que l'indépendance de la justice continue à être bafouée.

- Limogeage de l'ex-ministre de l'intérieur Driss Basri et changement de nombre de gouverneurs et Walis par d’autres qui ne sont pas différents et maintien des pouvoirs tentaculaires du ministère de l'intérieur et son immixtion dans tous les aspects de la vie des citoyens.

- Discours sur la démocratie locale ( communes, régions,……) en maintenant la tutelle du ministre de l'intérieur sur ces institutions et les pleins pouvoirs des gouverneurs et Walis dans les provinces et préfectures.

- Discours sur la société civile tout en la minant par la création d’associations dépendantes du makhzen auxquelles on accorde la qualité d’utilité publique et en mettant à leurs têtes des personnalités souvent mues par l'intérêt personnel et le désir d’enrichissement au dépens de ces associations et en harcelant les association réellement citoyennes.

Discours sur la liberté d’expression tout en continuant à monopoliser les média audiovisuels et en le mettant au service du makhzen et en harcelant matériellement et administrativement la presse militante tout en inondant le marché avec une presse de caniveau ou une presse faussement indépendante

b) Sur le plan économique : L'objectif essentiel de ce projet est la restructuration des classes dominantes pour qu’elles s’adaptent à la mondialisation.

 

Les classes dominantes parasitaires au Maroc ont développé leurs intérêts en pillant l'état qui leur procure des marchés juteux, leur offre différents privilèges ( agréments et autorisations divers ) et des secteurs monopolisés, protégés de la concurrence locale et étrangère et soutenus par le budget de l'état ( citons, en particulier, l'Omnium Nord Africain ' ' O.N.A.' ' qui monopolise des secteurs comme les industries agro-alimentaires ) et ferme les yeux sur la fraude et l'évasion fiscales. Mais la mondialisation signifie que l'état ne peut plus procurer ces avantages. C’est pourquoi il tente de pousser les classes dominantes à investir les fonds pillés comme cité plus haut dans les sociétés privatisées et en partenariat avec le capitalisme mondial.

C’est la raison pour laquelle la réussite de ce projet makhzénien nécessite le maintien des orientations des gouvernements précédents dans le cadre du gouvernement dit d’alternance ( maintien des équilibres financiers au détriment des équilibres économiques et sociaux, privatisation, poursuite de la liquidation des services sociaux, diminution du rôle de l'état dans les domaines économiques et sociaux…..). Ce projet implique également le refus de toute confrontation avec les responsables du pillage des fonds publics, de la corruption et de la fraude fiscale, mais au contraire de leur offrir de nouvelles occasions de profit en faisant fructifier cet argent mal acquis.

 

Sur le plan social : Faire supporter la charge de l'atténuation de la crise aux classes populaires, dont l'écrasante majorité de la petite et moyenne bourgeoisies, et essayer de masquer cette réalité par les discours ronflants sur la ' ' solidarité nationale' ' qui signifie, en fait, la reconnaissance par le makhzen et les classes dominantes de leur incapacité à faire face au gonflement spectaculaire du chômage et à l'extension de la pauvreté.

Utiliser le gouvernement ' ' d’alternance ' ' pour imposer la politique sociale ci-dessus, et en particulier, le projet de code du travail et la charte nationale de l'éducation et de la formation qui légalise le retrait de l'état de son rôle primordial dans l'éducation et la formation, l'instauration d’un enseignement au rabais pour les enfants du peuple pour les former à être une main d’œuvre au service du capital.

C’est ce projet makhzénien dont nous avons esquissé les grandes lignes qui est appliqué en réalité en dépit des discours des tenants du deuxième projet.

Le projet des forces qui pratiquent la politique sous couvert de religion recoupe objectivement le projet antidémocratique réactionnaire, en dépit de l'émergence de courants minoritaires appelant au dialogue. C’est ainsi qu’il y a des courants qui ont des liens étroits avec le makhzen qui ont conduit à leur intégration dans le parti d'un des symboles de la réaction et du makhzen . Quant à l’organisation Al Adl Wal Ihsane, en dépit de ses contradictions avec le makhzen, elle porte un projet passéiste, réactionnaire et fascisant.

Cette réalité tire ces racines de l'histoire de la naissance et de la formation de ces forces et de leur idéologie. En effet, ces forces ont pu se renforcer grâce au soutien matériel et autre prodigué par des régimes ultra-réactionnaires et serviteurs de l'impérialisme comme l'Arabie Saoudite et le Pakistan et ce, pour quelles combattent les forces socialistes et démocratiques. Le régime marocain les a utilisées et soutenues pour combattre la gauche marocaine (assassinat du militant Omar Benjelloun, attaques meurtrières contre les étudiants progressistes en 1991 ayant entraîné des morts et des blessés…). De plus, le référentiel idéologique de ces forces est en contradiction avec la démocratie qui signifie que la volonté populaire est la source de tout pouvoir et non une

autre source telle la religion. Le référentiel idéologique de ces forces recoupe, quant au fond, celui du makhzen. La divergence avec ce dernier est que le maghzen doit appliquer la charia de la

façon dont ces forces l'entendent et que le commandeur des croyants (Amir AL Mouminine) soit juste et suive l'exemple des premiers khalifes qui ont succédé au prophète.

 

Le projet libéral

 

La bourgeoisie moderne non monopoliste et liée aux secteurs productifs souffre de la mainmise des mafias makhzéniennes sur l'état et des avantages économiques qu’elles en retirent. Ses intérêts sont également menacés par l'emprise des classes dominantes sur les secteurs clés de l'économie. Aussi cette bourgeoisie aspire-t-elle à l'instauration d’un régime plus démocratique lui permettant de défendre ses intérêts et soutient-elle les revendications de réforme de l'administration et de la justice, la lutte contre la corruption et la mise à niveau sur le plan économique, dont celle du capital humain, pour être à même de résister aux défis de la mondialisation et de défendre ses intérêts contre les classes dominantes parasitaires.

Son objectif est l'établissement d’un régime parlementaire véritable tout en étant prête à accepter des étapes où le pouvoir royal soit fort. Les moyens utilisés pour réaliser son projet sont la recherche de compromis avec les tenants du premier projet. La Koutla démocratique a les mêmes objectifs. Ses moyens de pression sur le makhzen consistent soit à mobiliser le peuple, soit à profiter de la pression extérieure (droits de l'homme, Banque Mondiale…). Tout Cela, dans le but de trouver un compromis avec le makhzen.

Ce deuxième projet répond, dans une certaine mesure, aux attentes démocratiques du peuple, et en particulier la démocratisation du régime politique, mais il est en contradiction avec ses intérêts économiques et sociaux parce qu’il est un projet bourgeois par excellence puisque la mise à niveau économique doit se faire au détriment du peuple, et c’est ce qui explique la pratique du gouvernement actuel :

- Défense d’un code de travail qui légalise la flexibilité du travail et des salaires avec son cortège de drames : facilitation des licenciements, baisse des salaires, entraves au travail syndical et au droit de grève…

- Défense d’une charte nationale de l'éducation et de la formation qui légalise un enseignement très élitiste au dépens des enfants du peuple.

- Déification de l'entreprise au point de vouloir lui accorder tous les avantages et les soutiens.

- Présentation de certificats de bonne conduite aux institutions financières impérialistes ( Fonds Monétaire International, Banque Mondiale…..).

- Répression des mouvements qui menacent l'application de ce programme économico-social : grèves et sit-in des ouvriers et des diplômés chômeurs ( répression, arrestations et peines de prison contre les marins dans le sud du pays, contre les ouvriers d’Avitima dans la région de Rabat, contre les ouvriers de Tarmilat dans la région d’Oulmès…ainsi que contre les diplômés chômeurs).

C’est pour ces raisons que ce projet ne peut pas entraîner l'adhésion et le soutien populaires et c’est ce qui le fragilise et le pousse à faire des concessions au projet antidémocratique au point de capituler devant ce projet .

Et c’est ce qui explique l'échec et l'incapacité structurelles de ce projet à réaliser ce qu’il appelle ' ' transition démocratique'

' .Le projet démocratique radical.

La réalisation des tâches historiques actuelles consistant en la rupture avec le système makhzen et l'instauration d’un régime démocratique réel et en la défaite du capitalisme sauvage sur la voie de la liquidation des classes dominantes parasitaires et dépendantes de l'impérialisme exige que les classes fondamentales, et à leur tête la classe ouvrière, prennent la direction de la lutte pour la réalisation de ces tâches. Ceci ne peut se concrétiser que si elles forgent leurs instruments politiques propres et une alliance large rassemblant toutes les classes et couches nationales. Aussi les militants socialistes doivent-ils s’enraciner dans la classe ouvrière, la paysannerie et les masses laborieuses en général, participer à la construction de l'instrument politique de la classe ouvrière et laborieuse et unir leurs rangs au cours de ce processus de lutte. Ils doivent participer avec force à la construction du pôle démocratique radical qui regroupe les forces socialistes et les forces démocratiques radicales et représente l'alliance des classes populaires. Le développement de ces deux processus, celui de la constitution de l'organisation politique de la classe ouvrière et laborieuse et du pôle démocratique radical peut pousser les forces de la ' ' Koutla (Bloc)Démocratique ' ' , représentant les intérêts de classes moyennes et penchant actuellement vers le pôle des classes dominantes et du makhzen, à rejoindre les rangs des classes fondamentales du peuple marocain.

 

La construction de l'instrument politique de la classe ouvrière et laborieuse exige que les militants attachés au socialisme s’enracinent dans la classe ouvrière et laborieuse, qu’ils rejettent tout sectarisme et œuvrent sans relâche à l'unification de leurs rangs. La construction du pôle démocratique radical exige d’eux un maximum de souplesse, d’esprit unitaire et de sacrifices en vue faire fructifier et s’épanouir tout ce qui est commun. Or, la situation catastrophique des masses laborieuses et les attaques dirigées contre ce qui reste de leurs acquis sociaux offrent de nombreux domaines qui peuvent unir les militants. Ainsi le projet de code de travail, la question de chômage, le problème de l'éducation (charte nationale de l'éducation et de la formation), les questions de la femme et les droits humains, sont des questions graves qui vont sceller le destin du pays et qui nécessitent que les militants constituent de vastes fronts.

 

Le projet démocratique radical est encore en gestation du fait de la dispersion des forces de gauche, de la faiblesse de leur enracinement dans les classes fondamentales et dans la jeunesse qui est une force principale de changement, du flou idéologique et de l'absence d’un programme politique, économique, social et culturel pouvant battre le makhzen et le capitalisme sauvage.

La construction du pôle démocratique radical, instrument de l'alliance des classes populaires, en plus du programme dont il a été question plus haut nécessite la définition de mécanismes de coordination souples et diversifiés permettant un maximum d’efficacité. La définition du programme d’étape et de ces mécanismes exigent l'ouverture d’un débat vaste, responsable et profond entre tous les démocrates radicaux.

 

Casa le 21 Mars 2000

Abdellah El Harif

 

 

 

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