Association Marocaine des Droits Humains
Bureau Central
Déclaration de l’Association
Marocaine des Droits Humains à l’occasion de la journée mondiale des droits
humains.
Le 10 décembre 2000, cinquante deux années seront passées après la proclamation de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Cette Déclaration, fruit des longues luttes de l’humanité, a tenu à reconnaître et à garantir à chaque être humain le bénéfice de tous les droits et libertés qu’elle contient sans aucune distinction de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre….
Cette déclaration a aussi été une introduction et une base aux déclarations, aux pactes et aux accords internationaux relatifs aux droits humains.
Si l’entrée en vigueur de cette déclaration et l’engagement moral des Etats pour le respect de ses clauses et dispositions diverses est un acquis pour l’humanité, au niveau de l’application, l’écart est cependant assez grand puisque cet engagement est resté formel et la plupart des Etats continuent à porter atteinte aux droits humains.
Ainsi, alors que où la déclaration insiste sur les principes d’égalité, de fraternité et de coopération entre tous les individus, certains Etats, en particulier les Etats Unis d’Amérique, décident du sort du monde et prennent des politiques répondant uniquement à leurs intérêts propres et portant atteinte de manière flagrante aux droits des individus et des peuples – Les Etats Unis d’Amérique ont ainsi constamment porté atteinte aux fondements de la légalité internationale, en appuyant l’occupation des territoires palestiniens par Israël, en aidant cette entité sioniste par tous les moyens, malgré les crimes commis à l’encontre du peuple palestinien, et en imposant un embargo injuste à l’Irak après avoir essayé de la détruire….
Au même moment, ces Etats « développés » continuent leur course à l’armement et déclenchent des conflits armés avec ce qui s’ensuit comme catastrophes, et ce conformément à leurs objectifs et leurs intérêts en contradiction avec les principes et les idéaux humains et sans aucune considération quant à la situation et à l’avenir de l’humanité menacée à tout moment par la destruction à cause du surarmement nucléaire et bactériologique….
Plusieurs Etats « développés » connaissent une crossance des tendances xénophobes et fascistes, la haine des étrangers, le reniement des droits des minorités et des immigrés comme c’est le cas en Australie, en Autriche, en Allemagne et en Espagne, sans oublier la politique de génocide appliquée par la Russie en Tchéchénie.
De l’Algérie à l’Iran, en passant par la Tunisie, l’Egypte, l’Arabie Saoudite, l’Indonésie, l’Afghanistan (…), malgré la différence des méthodes et des moyens utilisés, le résultat est identique, caractérisé par l’atteinte flagrante à la vie en tant que droit humain sacré jusqu’aux droits élémentaires et ce aussi bien par des Etats que par des groupements d’opposants armés…
Au niveau national :
malgré l’engagement de l’Etat marocain exprimé
dans le préambule de la Constitution à respecter les droits humains tels que
définis universellement ;
malgré la ratification de certains accords internationaux relatifs aux droits
humains ;
malgré les discours et les nombreuses déclarations officielles insistant sur
l’engagement dans une politique fondée sur le respect des droits humains,
l'ensemble de ces engagements n’ont pas connu de concrétisation à l’exception
de la prise de quelques décisions partielles et quelques modifications
juridiques formelles,
les autorités continuent à porter atteinte aux droits humains et à ignorer le
contenu des revendications du mouvement des droits humains et des forces démocratiques.
Ainsi alors que la Déclaration universelle des droits de l’homme insiste dans l’article 21 sur le droit de tout individu à la participation et à la gestion des affaires publiques de son pays et considère que la volonté du peuple est la source du pouvoir, nous constatons au contraire :
le maintien d’un pouvoir politique fondé sur une
Constitution non démocratique aussi bien dans son élaboration et son adoption
que dans ses dispositions et son contenu ;
l’accaparement du pouvoir et des richesses nationales par une minorité;
le pouvoir absolu sur le sort du peuple marocain qui est écarté des centres de
décisions ;
le maintien d’institutions et de chambres représentatives formelles viciées par
la fraude, présentant un caractère douteux, impuissantes d’adopter et de
réviser les lois de manière à les rendre compatibles avec les conventions
internationales relatives aux droits humains, incapables (et sans volonté) de
constituer des commissions d’enquête sur les graves atteintes qu’a connues et que
connaît le Maroc – L’image de ces chambres basées sur la fraude a été confirmée
encore une fois lors des dernières élections partielles qui ont eu lieu sous le
gouvernement actuel et qui ont connu toutes sortes d’irrégularités et
l’utilisation de l’argent pour l’achat des voix…
la non application de la loi à l’encontre des auteurs d’atteintes aux droits et
aux libertés de par leur influence, leur richesse ou leur pouvoir avec une
domination de la corruption, du clientélisme et de la discrimination entre les
citoyens ;
le maintien de lois et de dispositions réglementaires en contradiction avec
l’esprit et le contenu de la Déclaration Universelle et les conventions
internationales relatives aux droits humains, parmi lesquelles certaines datent
de l’époque coloniale, que ce soit, à titre d’exemple, de lois afférentes aux
libertés publiques, le code du statut personnel, le code pénal, la loi relative
à l’état civil, la contrainte par corps, l’article 288 du code pénal réprimant
le droit de grève et l’article 5 du décret de février 1958 réprimant le droit
syndical exercé par les fonctionnaires ;
la non ratification de plusieurs conventions internationales ; les
réserves exprimés par le Maroc quant à certaines dispositions des conventions
ratifiées ; la non publication au bulletin officielle de conventions ratifiées,
ce qui rend sans effet en partie ou en totalité ces conventions bien que
formellement acceptées et rend le contrôle et les enquêtes difficiles et
complexes ;
le défaut de ratification du premier protocole optionnel annexé au pacte
relatif aux droits civils et politiques ;
le défaut de ratification du deuxième protocole optionnel relatif à l’abolition
de la peine de mort ;
le défaut de ratification du traité de Rome (17 juillet 1998) relatif au statut
fondamental de la cour pénale internationale ;
la non ratification de l’article 41 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques ;
la non ratification de plusieurs conventions et recommandations de
l’organisation internationale du travail ;
la non reconnaissance de la compétence de la commission de lutte contre la
torture ;
le défaut de publication dans le bulletin officiel de la convention relative à
la lutte contre toutes les formes de discriminations contre la femme et
l’émission de réserves vis à vis de cette convention ;
la non levée des réserves émises sur l’article 14 de la convention des droits
de l’enfant.
Quant aux dossiers importants ayant trait
aux droits humains et les atteintes constatées en la matière, les principaux
aspects ayant caractérisé l’année 2000 se présentent comme suit et seront
détaillés dans le rapport annuel qui sera bientôt publié:
Pour ce qui est du dossier relatif aux disparitions, qui est l’une des
atteintes des droits humains les plus graves et les plus cruelles, l’Etat ayant
officiellement reconnu l’existence de ce phénomène, après l’avoir longtemps
nié, a accordé au cours de cette année 2000 quelques indemnités pécuniaires à
des victimes, mais sans pour autant établir l’entière vérité sur tous les
disparus, les circonstances des disparitions, les lieux de séquestration, la
libération de ceux qui sont encore en vie et la remise des dépouilles des
victimes reconnues officiellement décédées à leurs familles, la poursuite
judiciaire des auteurs et l’indemnisation équitable morale et matérielle des
victimes de disparitions ou leurs ayant droits.
Tout au contraire, l’Etat à travers ses institutions, notamment le Conseil
consultatif des droits humains, tente d’occulter les faits et d’innocenter les
auteurs des disparitions et ce à l’encontre des revendications exprimées par le
mouvement des droits humains au sein duquel l’Association Marocaine des Droits
Humains n’a cessé de demander à ce que la vérité soit entièrement établie sur
ce dossier, menant des actions multiples pour réaliser cet objectif.
Ainsi en est-il de :
la dernière lettre ouverte adressée au Ministre de la Justice le 23 octobre
2000 et les marches de protestation menées au niveau national ;
la lettre ouverte adressée le 27 novembre
2000 aux présidents du Parlement et aux membres des deux chambres ;
la manifestation devant le Parlement le 9 décembre 2000 ;
pour ce qui est des dossiers relatifs à la résidence forcée ou à la détention
politique, si le citoyen Abdeslam Yassine a pu recouvrir sa liberté et son
droit de circuler librement avec cependant le maintien de contraintes, il n’en
est pas de même de la détention politique pour laquelle plusieurs personnes
demeurent emprisonnées et ce malgré les mesures d’amnistie. Pire encore, le
nombre de détenus politiques n’a pas cessé d’augmenter, dans toutes les villes
du Maroc. Il s’agit de citoyens ayant réclamé des droits civils, sociaux ou
politiques et ont été réprimés en réponse par les autorités publiques (Mohamed
ADIB, citoyens de AZILAL, étudiants à Kénitra, El Jadida, Rabat, Mohammédia,
journalistes et directeurs de journaux….)
pour ce qui est de la liberté de circuler, plusieurs dizaines de citoyens, en
particulier ceux ayant des antécédents ou des affiliations associatives,
syndicales ou politiques, demeurent privés de leur passeport ou de son
renouvellement, sont interdits de quitter le territoire, on subissent de
mauvais traitements dans les locaux de la police des frontières – L’obtention
du passeport demeure conditionnée par une enquête de police et une autorisation
du Ministère de l’Intérieur ;
pour ce qui est des dossiers de tortures et des décès dans les centres de
police et les lieux de détention, malgré toutes les déclarations et les
engagements faits, quatre décès ont été constatés au niveau des premiers et
cinq au niveau des second d’après les informations dont dispose l’Association ;
ces décès, à quelques exceptions près, n’ont pas donné lieu à l’ouverture
d’enquêtes et d’instruction.
De manière générale, les prisonniers et
détenus vivent dans des conditions inhumaines caractérisées par le
surencombrement, les mauvais traitements, les maladies fréquentes, l’absence
d’instruction et de formation en vue de leur réinsertion après l’extinction de
leur peine d’emprisonnement.
pour ce qui est des libertés individuelles et publiques, en plus de
l’incompatibilité de la plupart des lois prévues en la matière avec la
Déclaration universelle et les conventions internationales relatives aux droits
humains, le droit de création d’association ou d’organiser des rassemblements
ou des manifestations demeure objet à des atteintes manifestes de la part des
autorités à tel point que certains regroupements sont toujours privés de leur
existence juridique bien qu’ayant rempli les formalités prévues (association de
justice de bienfaisance, la voie démocratique, Albadil Alhadari, les démocrates
indépendants, le mouvement pour la nation…), ou bien reçoivent des réponses
avec beaucoup de retard (certaines sections de l’AMDH), ou bien voient leurs
membres poursuivis et condamnés (Association Attaouassoul…), se voient refuser
le droit d’organiser des réunions (forum de vérité et justice à khénifra) ou le
droit de manifester, voire sont violemment réprimés lors des manifestations
organisées (les handicapés, l’association des chômeurs, à Tan Tan, Zagoura,
l’AMDH à Rabat le 27 octobre 2000, le « pélerinage » à TAZMAMART…) ;
la presse a aussi connu la censure, voire
l’interdiction par le recours à l’article 77 du code de la presse et la saisie
des journaux ; les directeurs et les journalistes ont été victimes d’attaques
médiatiques organisées voire de menaces de poursuites et de qualifications
diffamatoires (Alousboue, Achamal, jeune Afrique, le monde, le journal, demain,
Assahifa) ;
pour ce qui est du droit associatif, il y a lieu de constater la décision du
gouvernement d'attribuer à l’AMDH et à l’OMDH le caractère d’utilité publique
après plus de 21 ans d’existence et d’activité pour la première ;
pour ce qui est des droits de la femme, les lois et dispositions réglementaires
au Maroc consacrent l’infériorité de la femme et comportent des dispositions
pénales discriminatoires ; les plans adoptés ne prévoient pas les conditions
permettant la protection de sa dignité et le développement de ses droits
sociaux, économiques et culturels avec la réalisation d’une égalité ; ainsi le
plan d’action de l’intégration de la femme au développement que l’AMDH a
considéré comme répondant à un minimum de revendications exprimées par
l’Association et le mouvement des femmes consacrant les droits humains tel que
prévu par les conventions internationales, ne sera pas adopté et appliqué.
L’évolution récente a été caractérisée par la mise en veilleuse de ce plan sous
la pression des tendances opposées à ce plan qui ont exploité les mosquées pour
propager les positions hostiles à la femme, positions confortées et encouragées
par le Ministère des Habous et des Affaires Islamiques ;
au niveau des droits économiques, sociaux et culturels, les plans élaborés par
l’Etat dans ce domaine, vont dans le sens de la discrimination, l’exclusion et
la privation des catégories sociales les plus larges de leurs droits à
l’enseignement, à la santé, au travail, à la vie dans la dignité, au logement
salubre, à la sécurité sociale et à l’application de l’échelle mobile des
salaires (…), réprimant toute contestation, grève et activité syndicale,
condamnant et licenciant individuellement et collectivement les salariés, en
complicité avec les patrons dont l’hostilité aux droits des salariés s’est
traduite dans certains cas par le meurtre de plusieurs ouvriers (société ROSTOM
à Casablanca) ; au contraire, les autorités favorisent le patronat par des
avantages fiscaux, la cession des terrains à des prix symboliques, des
subventions, et les privatisations (…) sans que cela se traduise réellement par
des créations d’emplois et par l’amorce d’un développement économique ; au
contraire, les fermetures d’usine et les licenciements se multiplient (cas des
ouvriers de Tarmilat, usine de Sidi Ali-Oulmès, ouvriers du textile à Rabat,
société ROSTOM à Casablanca, société MANIC, ouvrier de MARJANE…) ;
sur le plan culturel, le taux d’analphabétisme, en particulier parmi les
femmes, ne cesse pas d’augmenter – L’analphabétisme touche ainsi plus de 2 millions
d’enfants privés de leur droit à l’instruction, auxquels s’ajoutent les
dizaines de milliers d’enfants qui abandonnent chaque année à cause des
conditions de misère de leurs familles ou à cause de leur exclusion ; les
programmes scolaires sont inadaptés, ne s’inspirent nullement des principes de
droits humains et demeurent caractérisés par une sous estimation de la valeur
de l’être humain et portent atteinte à la dignité de la femme ; l’enseignement
de la langue amazigh n’a pas reçu une application concrète ;
- les moyens d’information ( radio et télévision ) sont entre les mains des
autorités qui les subordonnent à leurs orientations sans ouverture aux opinions
différentes, aux cultures et à l’expression des besoins des citoyens ;
au niveau des droits de l’enfant, les dispositions légales et réglementaires au
Maroc sont en déphasage et parfois incompatibles avec les conventions
internationales en particulier avec la convention des droits de l’enfant. A
l’exception de quelques mesures formelles, l’importance accrue de l’enfant dans
les médias, la ratification de certaines conventions internationales
(convention 138 adoptée par l’organisation internationale du travail, la
convention 182, la recommandation n° 190 relative à la lutte contre les mauvais
traitements de l’enfant et l’action pour y mettre fin).
Dans la réalité, les enfants demeurent victimes de violences, de privations et
d’exploitation économique et sexuelle et connaissent le désespoir qui les
entraîne à l‘immigration clandestine mettant leur vie en danger en traversant
le détroit sur les barques de la mort.
Le Bureau Central de l’Association Marocaine des Droits Humains, à l’occasion de la journée du 10 décembre, tout en exposant sommairement les principaux traits de la situation des droits humains au Maroc et à l’extérieur au cours de l’année 2000, commémore cette journée de la proclamation de la Déclaration universelle des droits de l’homme et constate avec satisfaction à côté des forces qui luttent pour le respect des droits humains, le développement de la prise de conscience chez les individus et les peuples, leur attachement aux droits humains et la lutte pour arracher les droits, prise de conscience qui a constitué un obstacle aux atteintes des droits humains et a permis aux auteurs de ces atteintes de ne pas échapper à la justice et aux sanctions. Les poursuites et les jugements prononcés à l’encontre de criminels, tel le cas de Pinochet, en sont une preuve.
Le Bureau Central de l’Association est aussi fier
des luttes des citoyennes et citoyens marocains, dans le mouvement des droits
humains, luttes qui ont permis de défendre et d’arracher de nombreux acquis, ce
qui a renforcé et consolidé la position de l’Association dans le chemin qui
doit mener vers une société où les droits et la dignité de la personne humaine
sont véritablement respectés.
Le Bureau Central
Rabat, le 06.12.2000
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