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ARTICLE TIRE DE LA LISTE DDH contact@maghreb-ddh.sgdg.org ET ENVOYEE PAR ZOUBIR SAMI LE 28/11/2000

Ci-dessous une traduction approximative d'une bonne partie de l'interview du président de l'Association marocaine des droits humains, Maître Abderrahmane Benameur, au journal Assahifa du 16-23 novembre 2000.


Assahifa : M. Benameur, comment est née l'idée de publier une liste comportant les noms de responsables politiques et militaires et d'autres liés aux appareils de l'Etat... C'est la première fois que vous informez officiellement l'opinion publique qu'ils sont impliqués dans les dossiers de la détention arbitraire, de
l'enlèvement et de la torture ?

AB : Je dois préciser tout d'abord qu'à l'AMDH, nous militons pour des objectifs précis qui comportent entre autres la défense des droits humains et la dénonciation des différentes atteintes à ces droits et  le soutien aux victimes de ces atteintes. Par conséquent, ce sont ces objectifs qui définissent les luttes de l'association,  son parcours et les méthodes de son action. La lutte pour la défense des droits humains exige en effet qu'on s'attaque à toutes les  atteintes et parmi elles les crimes de l'enlèvement (disparition forcée) qui  sont punis par la loi marocaine et par les conventions internationales. Il y a en effet une déclaration de l'Assemblée  générale des Nations Unies, au début des années 90, concernant les disparitions forcées, leur dénonciation, la responsabilité des Etats,  la poursuite de ceux qui les commettent et l'indemnisation des
victimes... Et comme les enlèvements constituent un crime, nous militons pour dénoncer ceux qui en sont responsables. Et en plus de soutenir les victimes dont un certain nombre a été torturé et ensuite libéré avec des séquelles  corporelles, psychiques et morales... ceux qui sont décédés dans les lieux  de détention ou sont encore portés disparus ou dont le sort est inconnu, nous avons le devoir de démasquer les criminels et d'exiger que la  lumière soit faite sur le sort des disparus, que les corps de ceux qui  ont été déclarés décédés  et reconnus comme tels par les autorités soient  délivrés à leurs familles et que les disparus libérés ou décédés reçoivent une indemnisation matérielle et morale...


Assahifa : Désolé de vous interrompre mais la nouveauté dans l'initiative  de la liste par rapport à ce sur quoi militait l'association depuis 1979 est que parmi  les noms figurant sur la liste, il y a des personnes qui exercent encore des responsabilités dans les administrations de l'Etat, dans les RG ou dans l'armée...
Comment en êtes-vous par conséquent arrivés là ?

AB : Je vais y arriver tout de suite. L'association a choisi l'option  de demander l'ouverture d'une enquête pour déterminer les responsabilités et poursuivre les criminels judiciairement depuis le début des années 80 et précisément en 1982 quand elle a adressé un mémorandum au ministre de la  Justice qui est le chef du parquet
(ministère public) et qui a la possibilité conformément à l'article 48 du code pénal de demander à celui-ci d'ouvrir une enquête sur n'importe quel crime. Ce mémorandum qui comportait les noms de disparus civils et militaires, et nous n'y avions pas mentionné les criminels et les personnes impliquées, mais nous n'avons reçu aucune réponse. Le ministre de la justice nous a dit lors de la rencontre que nous avons eue avec lui à cette époque que les services relevant de son ministère n'étaient pas au courant de l'existence de disparus et de l'existence de lieux
secrets de détention. A la fin des années 80, début des années 90, us avons eu connaissance d'un lieu secret de détention qui se trouve dans la région de Rich près de la ville de Rachidia, dans lequel étaient détenus des disparus dans une situation dramatique. Dès lors, les avocats de l'association ont déposé une plainte auprès du ministre de la justice pour l'informer de l'existence de ce lieu de détention. Nous lui avons demandé d'ouvrir une enquête sur le sujet. Et selon le code pénal marocain, le ministère public, mis au Courant directement ou
indirectement de l'existence d'un lieu secret de détention, se devait d'ouvrir une enquête au lieu dit, sous sa responsabilité. Mais on n'a ni répondu, ni donné suite à notre requête. Et quand les détenus de Tazmamart ont été libérés au début des années 90, les avocats de l'association ont saisi le procureur du Roi près la cour d'appel de Kénitra pour l'ouverture d'une enquête, vu que l'existence de ce lieu de
détention et des victimes ne faisaient plus aucun doute, et nous lui avons demandé d'ouvrir une enquête et d'entendre les victimes en tant que témoins sur eux-mêmes ainsi que sur ceux de leurs camarades décédés en détention à Tazmamart. Aucune suite n'a été donnée à notre demande. Par la suite nous avons commencé à développer nos méthodes de travail dans le domaine des disparitions forcées au travers de communiqués, mémorandums et rapports annuels, jusqu'à aboutir à la publication de la liste, puisque nous disposons de nombreuses preuves consistant en des
témoignages. En effet, selon la procédure civile, la victime peut se porter témoin sur elle-même selon l'appréciation du juge et peut se porter témoin sur les autres et les criminels peuvent également témoigner les uns contre les autres. Et devant les citations de nombreux noms, que ce soit à travers la presse ou par les victimes, nous avons commencé à établir une liste précise...


Assahifa : Pardon, quels sont les noms cités de nombreuses fois, si on excepte certains noms connus de tous ?

AB : Comme Mahmoud Archane et El Youssfi Kaddour qui utilisait la force  dans de nombreuses enquêtes consignées dans les PV de la PJ, Abdelmalek Elhamiani qui était chargé de nombreux grands dossiers et qui était le chef de la Brigade Nationale de la Police Judiciaire. Et en ce qui concerne la responsabilité pénale de la disparition forcée, il faut savoir que les principaux responsables du crime sont le planificateur du crime, l'exécuteur du crime et le complice de celui-ci. La complicité peut consister, selon l'article 129 du code pénal, en l'ordre,
l'incitation, la délivrance d'une arme, la mise à disposition d'un moyen de transport ou d'un lieu de réunion...


Assahifa : Quelles sont donc les preuves sur lesquelles vous vous êtes  appuyées pour déterminer la responsabilité du général Hosni Benslimane ou Laânigri comme suspects dans leur implication dans les crimes de la
disparition forcée ?

AB : Les détenus de Tazmamart ont témoigné contre le général Hosni Ben Slimane. De même, ils ont témoigné que Laânigri avait supervisé le procès qui avait eu lieu au tribunal militaire en 1972, qu'il avait lui-même organisé leur transfert, en avion, au bagne de Tazmamart. Ils ont même donné les noms de ceux qui étaient dans l'avion en d'autres termes, que c'est bien lui qui les a transféré de ce lieu légal qu'était la prison centrale, à un lieu illégal. Hosni Ben Slimane était le chef de Laânigri : il ne fait aucun doute que ce dernier a pris ses instructions auprès du général Hosni Ben Slimane. Ce dernier a été également cité dans le cas de Touil qui a bénéficié  de certaines "largesses" vers la fin de sa détention parce qu'il était
marié à une Américaine (...). Ceci a été également écrit par Mohamed Raiss et d'autres détenus qui  sont prêts à dénoncer les responsables de ces crimes.
Les détenus de Tazmamart ont rapporté que suite à  l'intervention de l'ambassade US, Touil a été transporté par hélicoptère et
Hosni Benslimane faisait partie des personnes qui lui ont rendu visite et le simple fait qu'il est le chef de Laânigri suffit à établir sa responsabilité. Concernant les autres noms cités dans la plainte, plusieurs témoignages d'ex-détenus publiés par certains organes de presse corroborent nos affirmations. Amine Abdelhamid a par exemple cité nommément ceux qui l'ont torturé. Quant à Mahmoud Archane, beaucoup ont témoigné sur sa responsabilité, comme Omar Benchemsi et Elmziti.
Concernant Elyoussfi Kaddour, il a enquêté dans l'affaire Cheikh El Arab, lors des évènements de 1973 et dans le procès de Marrakech en 1969. Il est par conséquent très aisé d'établir la responsabilité des criminels d'après les témoignages des victimes. Les dossiers sont légions avec des preuves palpables.


Assahifa : Si ces noms sont cités pour la première fois et que, selon vous, ces personnes portent la responsabilité des crimes du passé, qui a le devoir de les poursuivre ?

AB : En effet c'est la première fois que ces noms sont cités dans cette plainte qui met le ministère de la justice devant ses responsabilités parce qu'elle a les caractéristiques d'une plainte conforme au droit à savoir la citation des victimes, les textes de loi et les noms des personnes soupçonnées au sujet desquelles nous demandons l'ouverture d'une enquête afin de les innocenter ou les condamner.


Assahifa : Quelles sont les réactions officielles 15 jours après la célébration de la journée du disparu ?

AB : Les réactions officielles, on les a ouï-dire comme ceux qui suivent le dossier de la disparition forcée, et je ne sais pas si c'est vrai ou non. En tout cas, beaucoup de choses ont été dites à ce propos, et la  plus importante est que les militaires et peut-être de hauts responsables se seraient prononcés lors d'une rencontre au ministère de la justice pour la poursuite de l'association, voire sa dissolution. Cette information nous est parvenue de plusieurs sources. Et à cause de la publication de cette liste par l'AFP, le chef de l'Agence à Rabat a vu son accréditation retirée. Et cela constitue à notre avis la première réaction officielle des responsables politiques, réaction en contradiction avec les principes et la lettre des droits  humains.(...)
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