DU MAKHZEN PUR AU
MAKHZEN À VISAGE DÉCAFÉINÉ
Le nouveau
makhzen, en tant que forme de gouvernement assortie de prétention unique à
l’autorité politique légitime au Maroc, est en passe de reproduire les
expériences répressives des années dites de plomb. Il est à craindre que
l’histoire bégaie. Si tel est le cas,, la répétition sera aussi tragique que
l’originale. Désormais rien ne peut s’opposer au pouvoir marocain dont le
soutien principal est l’U S F P et l’ensemble de la clientèle électorale. Le
pouvoir n’a de compte à rendre à personne, en ce qu’il agit au nom des
principes constitutionnels et sacrés à caractère divin admis par toute la
classe politique représentative au parlement de la monarchie. Tout est donc
possible à ce pouvoir qui s’affirme comme seul et unique source de vérité.
L’alternance gouvernementale, mise en œuvre depuis
le référendum constitutionnel de septembre 1996 et les scrutins de juin 1997 et
les « élections »
législatives de décembre 1997, a permis au pouvoir monarchique de
s‘approprier non seulement l’État ( auquel il s’est identifié, déjà par le
passé), mais aussi toutes les composantes de l’opposition institutionnelle.
Ainsi, l’étape de l’intronisation du nouveau monarque est une réussite dont le
maître d’œuvre est incontestablement l’élite de la gauche marocaine soutenue
par certaines victimes politiques de la répression. Toutefois, sa présence au
gouvernement suffit-il à obtenir de la
population marocaine un appui authentique et ferme à la politique poursuivie
par le pouvoir qu’on ne saurait faire passer par la force dans les
circonstances de ce qu’on appelle l’état de grâce.
En effet , depuis le 20 août 1999 des gestes
spectaculaires du pouvoir monarchique ont laissé d’aucuns espérer que
l’avènement d’un nouveau makhzen « décaféiné » limitera les abus les
plus criants de l’ancien makhzen pur, en se donnant pour objectif d’une part,
de relancer les réformes suspendues pendant des décennies et d’autre part, de
payer un tribut, du moins verbal, en matière de droits de l’Homme afin de
tourner définitivement la page d’un passé
caractérisé par l’arbitraire et la répression aveugle pour ne pas dire
barbare. Voilà, en apparence, une
meilleure tactique qui permet au pouvoir de restaurer ses assises en
rajeunissant l’image d’une archaïque monarchie théocratique soumise à
l’entropie c’est à dire à l’usure du temps .
Force est de constater qu’une telle analyse est ,
toutefois, erronée. Certes, le nouveau makhzen décaféiné vise à limiter
certains excès mais dans l’intérêt de la classe dominante. Celle-ci éprouve le
besoin, aujourd’hui pour pérenniser sa domination, d’éliminer certains abus les
plus choquants. Elle souhaite redorer son blason, et se moraliser en quelque
sorte conformément aux recommandations de l’occident capitaliste, (
Compatibilité avec la pensée unique et
avec le politiquement correct ) et aux institutions financières
internationales ( F M I, Banque Mondiale....)
mais sans pour autant sacrifier l’essentiel de son pouvoir économique et
politique. Il s’agit donc de graisser sa machine d’exploitation afin qu’elle
fonctionne mieux. Le makhzen œuvre donc dans la stabilité et la continuité et
de ce fait il marque sa volonté de ne pas rompre avec le passé.
À l’apogée de son triomphe médiatique actuel, trois
questions fondamentales se posent au nouveau makhzen.
La première porte manifestement sur la causalité
économique: Comment la politique économique makhzénienne fonctionne -t-elle
réellement, et quel est son projet ? Quelle rigueur et quelle intransigeance le
régime marocain est-il tenu de choisir entre la protection de la classe
dominante et la défense des classes
pauvres ? Pendant combien de temps les marocains devront -ils accepter des
millions de chômeurs, des millions d’analphabètes, des millions de laissés pour
compte et des millions de victimes de la terreur makhzénienne culturelle,
religieuse, sociale, politique... Cette terreur est facteur de multiples
inhibitions qui accablent le pays.
Cette première question relève de l’analyse économique, nous espérons pouvoir y répondre
de manière claire et plus convaincante ultérieurement.
La deuxième question est relative au savoir. Elle
concerne chaque marocain. Comment le régime considère-t-il exactement les
relations entre la science et la compétence de
chaque marocain à juger du bien fondé des différents gouvernements possibles et d’apprécier à leur juste valeur les mérites de leurs gouvernants? Et dans quelles conditions le citoyen marocain
peut-il choisir librement et avec conviction le gouvernement qui lui
parait être le plus judicieux et le plus efficace? Aujourd’hui, cette question
est largement évacuée du débat politique, bien qu’elle surgisse régulièrement
dans les pensées et les méditations de tous les acteurs et les spécialistes des
sciences sociales marocains. Il n’en est pas moins frivole de méconnaître
l’importance et la force de cette question. Étant donnée l’urgence des défis
auxquels se trouve aujourd’hui confrontée l’autorité politique marocaine
suprême et les difficultés de les relever efficacement, ( ce qui est à
l’avenant) il est évident que chaque formation politique a désormais besoin de
forger son instrument pour apprécier exactement comment relever au mieux ces
défis. Ceci n’amoindrirait aucunement le rôle de l’État marocain s’ il créait les conditions d’une
coordination cognitive efficace et fiable pour éviter l’assujettissement
aveugle ou forcé des marocains à ses orientations politiques imposées. Car
c’est ça la tâche pour laquelle la
démocratie est initialement conçue. Enlever les entraves et les obstacles
divers entre les institutions politiques et les citoyens instruits qui pourraient
être tour à tour dirigeants et dirigés,
cela consiste à remettre en cause la politique de l’éducation nationale qui est
incapable aujourd’hui d’assurer à tous les marocains l’égalité des chances
devant le savoir et l’instruction qui permettent aux citoyens d’articuler une pensée logique. Inutile de rappeler que
dans ce contexte, la banque mondiale suggère aux autorités marocaines de ne
plus investir dans l’enseignement secondaire et supérieur en contrepartie de quoi elle leur offre des aides pour initier les jeunes du primaire à
Internet afin de vendre à ces derniers
la formation et l’instruction
comme marchandise dans le cadre exclusif du domaine privé. Ceux qui ont
les moyens peuvent s’informer et s’instruire quand aux autres, ils sont voués à
l’ignorance et l’obscurantisme de tout bord.
Cette question s’adresse à tous les marocains
et en premier lieu à Mr YOUSSOUFI (1er
ministre et 1er responsable politique de l’U S F P dont le discours
progressiste jouit d’un écho considérable chez les instruits marocains.
La troisième questions est relative aux droits de
l’Homme. Comment les marocains doivent-ils vivre ensemble ? C’est à cette
question que nous allons essayer d’apporter des éléments de réponse.
Les plaies récentes de notre douloureuse histoire ne sont pas encore cicatrisées. Les
victimes de cette histoire sont vivantes dans notre mémoire collective. Nous ne
pouvons pas gommer d’un trait de plume notre passé meurtri. La répression des
années de plomb signifie malheur et souffrances humaines pour les victimes et pour le peuple, privation, misères
et sous-développement.
L’option du nouveau makhzen pour la continuité
s’inscrit dans la tradition répressive qui remonte aux années 1970. En effet,
en 1972 le makhzen a repris le dialogue politique avec l’opposition de la
gauche officielle, interrompu par la dissolution brutale du parlement en
juillet 1965. Cette reprise du dialogue à été couronnée par la renonciation de
la gauche à l’idée d’une remise en cause de la monarchie, en contre partie
d’une reconnaissance d’une participation limitée aux institutions. L’occident
capitaliste n’est pas étranger à cette ouverture. D’ailleurs, pour maintenir un
équilibre des ressources et empêcher l’effondrement de la monarchie
théocratique (qui serait en pleine guerre froide perçue comme un échec de
l’occident) le Maroc a obtenu des soutiens financiers des monarchies
pétrolières arabes et des soutiens en armes des États Unis d’Amérique, d’Israël
et de la France. Aujourd’hui, l’alternance gouvernementale qui dure depuis 1997
reste dans la droite ligne de l’ouverture de 1972. Il a donc fallu 25 ans de
discussion pour que les deux
antagonistes ( monarchie et gauche officielle ) se transforment en
protagonistes. Pour l’heure, il apparaît sous une forme évidente qu’entre les
deux protagonistes les relations sont organisées à dessein par et pour la
monarchie aux dépens de la gauche officielle. La quasi-totalité des dirigeants
de cette gauche sont des agents de la monarchie. Le défi que ce constat lance à
ces dirigeants est terriblement déconcertant; mais ceux -ci y voient un défi
lancé à la démocratie, au sens où celle-ci
pourrait faire appel à leur capacité de nourrir l’imagination
« populaire » et à démocratiser l’État makhzen. Alors qu’en pratique
le gouvernement de « transition » est soigneusement mis à l’écart de
toutes les décisions sensibles qui relèvent
des ministères de la souveraineté. Toutefois, l’échec de la politique
économique et sociale est attribué au gouvernement de gauche . L’accès de cette
gauche au gouvernement n’a apporté aucun changement substantiel à la nature du
makhzen. Ce dernier, après avoir neutralisé le noyau dur et irréductible de
l’armée (1) a opéré spectaculairement un rapprochement avec cette gauche; mais
nul ne peut avoir une idée claire de ce que seraient les relations entre la
monarchie et la gauche officielle si toute trace d’assujettissement devait en
être effacée.
Il s’avère donc que le primat de l’État makhzen se
consolide. La question des droits de l’Homme en tant qu’enclave de l’absolutisme
monarchique n’est pas encore éliminée au sens de l’élucidation, de la
réparation judiciaire et de la sanction pénale des crimes et des violations des
droits perpétrés par l’État Marocain depuis plus de 40 ans. Il convient de
rappeler que depuis plusieurs années les associations des droits de l’Homme au
Maroc mènent une lutte courageuse à la fois pour dénoncer et mettre fin à
toutes les violations des droits élémentaires et pour réclamer l’établissement
de la justice afin de désigner les responsables criminels des années noires de
la répression. Parallèlement, le 27 et le 28 novembre 1999 un forum intitulé
justice et vérité a été crée en toute légitimité en vue d’apporter des lumières
sur les violations des droits des victimes de la répression et de l’arbitraire.
Toutefois, si ses premières réunions ont déclenché un moment de catharsis chez
les militants et chez les familles des victimes, ses travaux ne satisfont
pleinement ni les plus actifs défenseurs des droits des victimes ni les
familles de ces derniers, cela tient à l’absence d’un consensus pour résoudre
la question de la justice et de la sanction. Le makhzen semble imposer au sein
même du forum une vision qui consiste simplement à indemniser toutes les
victimes ou leurs familles. ( qui accepteraient de déposer des demandes
d’indemnisation).
Bien que tout le monde éprouve un manifeste besoin
de justice, une partie des adhérents du forum ont abandonné l’esprit de la
plate forme initiale constitutive du F V J. Il faut noter que la plupart des
responsables civils et militaires de la répression ont été maintenus à leur
poste à l’exception de quelques uns notamment Mr Bassri Dris. Il semble que le
limogeage de ce ministre, le 9 novembre 1999, ne traduit en réalité que
l’inimitié des hauts responsables du makhzen à son égard. Tous les responsables des crimes cherchent l’impunité. Le
pouvoir refuse de créer des commissions nationales pour enquêter sur les crimes
commis par eux. Les responsables des crimes voient dans le simple dévoilement
de la vérité une menace à leur sécurité personnelle et institutionnelle.
Dernièrement l’A M D H ( association marocaine des droits Humains ) a fait
circuler dans tout le Maroc une pétition réclamant l’éloignement des postes
civils ou militaires de tous les
responsables de la répression durant les années de plomb.
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( 1) Les F A R ( forces armées royales) sont éloignées du champ politique depuis 1972. Depuis 1975 le rôle des F A R est cantonné dans le Sahara. Officiellement les F A R ont pour mission de récupérer les territoires spoliés.
À chaque occasion cette association ne manque pas de
revendiquer :
« la vérité et la poursuite des responsables
et de leurs complices des crimes de
disparition et de détention arbitraire »
« la déclaration officielle des noms des
responsables des crimes commis à l’encontre du peuple marocain et leur
poursuite judiciaire »
« l’indemnisation et la réhabilitation morale et
matérielle des victimes et de leurs ayant droits »
« la remise des dépouilles à leur
familles »
Evidemment, devant les protestations et les
manifestations de l’A M D H, le makhzen réprime violemment les militants et les
sympathisants de cette association. Et comme par le passé le pouvoir marocain
s’appuie pour se justifier sur
l’idéologie sécuritaire ( atteinte à la monarchie ou aux principes sacrés....)
En réalité cette répression n’est rien d’autre qu’une pratique habituelle qui
sous l’effet, effectivement , de l’habitude s’est posée comme une règle banale
applicable à tout moment. À ce titre, les Dahirs (Lois ) répressifs sont implacables:
« Toute
personne est reconnue coupable en quelque lieu et par quelque moyen que
ce soit, d’avoir provoqué à la résistance active ou passive contre
l’application des lois, décrets, règlements ou ordre de l’autorité
publique ; quiconque aura incité à des désordres ou à des manifestations
ou les aura provoqués; quiconque aura exercé une action tendant à troubler, la
tranquillité ou la sécurité » Dahir promulgué le 29 juin 1935 et amendé
par le Dahir du 26 septembre 1969. Ce Dahir réprime les manifestants
pacifiques, il prévoit une peine pouvant aller jusqu’à deux ans
d’emprisonnement.
Le Dahir du 26 juillet 1939 prévoit une peine de six
mois à cinq ans d’emprisonnement pour la fabrication, la distribution ou la
vente de tracts de nature à troubler l’ordre public, la tranquillité ou la
sécurité .
À la fin du mois de novembre 2000, 13 étudiants ont
été condamnés à des peines de deux ans de prison ferme pour « trouble à
l’ordre public » notion très vague
utilisée sans limite contre toute personne qui participe à une manifestation
non violente. Les cinquante avocats de ces étudiants considèrent que les
charges retenues ne sont pas fondées sur des faits ou des actes réels; elles
sont plutôt montées de toutes pièces par les services de la police.
Depuis Mars 1999, les manifestants pacifiques sont
traités en parère. La répression reste comme par le passé le meilleur gage de
la sécurité makhzénienne. Aujourd’hui elle ne peut pas être réduite au rang de
simple incident de parcours. Il ne faut pas se méprendre ni sur la
signification de ce phénomène ni sur son ampleur. Pendant toute l’histoire du
Maroc le makhzen a toujours réduit les voix de la liberté au silence et à la
soumission.
Il serait inexact de prétendre, sur le fondement des
déclarations officielles du régime que les marocains bénéficient d’une liberté
d’expression. Il serait totalement faux de croire que les dispositions
constitutionnelles fonctionnent différemment qu’autrefois. Il est révélateur à
cet égard qu’aient été maintenues toutes les formes de la répression. En
matière de répression les décisions sont prises soit arbitrairement, soit selon
des Dahirs injustes et discriminatoires, aussi bien dans leur formulation que
dans leur application. Les articles du Code pénal marocain qui répriment les
actes politiques violent tous les articles de la déclaration universelle des
droit de l’homme. Dès lors que les décisions sont prises, elles s’appliquent,
quant bien même, elles violent les principes supérieurs de cette déclaration
pourtant signée et ratifiée par l’État Marocain. Ces décisions ne peuvent faire
l’objet ni d’un recours en annulation, ni d’un refus d’application par les
juridictions. D’ailleurs toute autorité locale administrative, civile ou
militaire est habilitée à prendre des sanctions et à les mettre en application
en dehors de tout recours judiciaire. Il n’est alors, et c’est légitime,
d’autres recours que le recours de fait telle que la résistance, et plus
largement, à l’oppression. À ce titre, il faut saluer les actions pacifiques de
l’A M D H menées avec une bravoure exemplaire.
Le Makhzen est responsable de ce transfert, si
rapide, des militants des droits de l’Homme au Maroc d’un état d’attente à une
position d’action revendicative. Après 40 ans de répression barbare,
d’innombrables questions se posent, mais le makhzen nous interdit de les
soulever aujourd’hui.
Pour se justifier de l’escalade répressive, les
autorités marocaines évoquent des arguments simplistes tel que le consentement
du peuple marocain pour réprimer les militants des droits de l’Homme
(Déclaration du 1er ministre marocain en Allemagne en décembre 2000 et au
journal Le Monde daté du 21 décembre 2000 ). Dans cette affirmation, on relève
les sentiments de terreur et de peur légués par la tradition makhzen dans
son exercice du pouvoir au Maroc. Quant
les marocains essayent d’exprimer leurs opinions naissent subitement chez eux
des angoisses infantiles liées à une éducation basée sur la violence et sur les
symboles que le makhzen a instrumentalisé de manière négative. En somme au
makhzen objectivé dans un discours froid, oppresseur, correspond un Homme sujet
du système répressif. Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est du premier
ministre socialiste ( membre de l’internationale socialiste) qu’on entend ces arguments pour justifier la
répression.
La presse occidentale déplore l’interdiction des
trois journaux marocains « Le journal, Assahifa et Demain » décidée
par ce premier ministre et lui conseille d’appliquer au moins une procédure
légale conforme au fonctionnement de la démocratie occidentale. En effet, la
presse occidentale trouve anormal que la saisine administrative de ces journaux
soit effectuée par une autorité politique. Elle doit être faite par l’autorité
judiciaire. Ainsi il y aurait des
poursuites diligentées par des magistrats et en face, il y aurait une défense
et donc un débat contradictoire qui donne des garanties.
Cette interdiction a été prise en vertu d’un Dahir
du 15 novembre 1958 formant code de la presse au Maroc qui stipule dans son
article 77 que «Le ministre de l’intérieur peut ordonner la saisie
administrative de tout numéro, d’un journal ou écrit, dont la publication sera
de nature à troubler l’ordre public... » L’article 42 de ce même Dahir
dispose: la publication, la diffusion ou la reproduction par quelque moyen que
ce soit d’une nouvelle fausse, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongères
attribuées à des tiers lorsqu’elle aura troublé l’ordre public ou est
susceptible de le troubler... » Les termes de l’article 77 sont très
importants à analyser. À noter que l’article ne dit pas « qui trouble
l’ordre public » ( quoique la notion de l’ordre public reste très vague)
car un trouble d’ordre public peut être constaté matériellement. Mais un
fait « de nature à troubler
l’ordre public » donne lieu à toutes
les interprétations possibles . Il peut fonder n’importe quel
arbitraire, frappant ainsi toute la liberté de la presse. Selon cette logique
juridique, le fait qu’un journal marocain affirme que la politique du gouvernement est un échec qui entraîne une crise
sociale, ou que la faillite de la politique poursuivie au Maroc est génératrice
de troubles , cela suffit pour
justifier les mesures de suspension ou d’interdiction. Cette persistance du
maintien de conjecture dans l’exercice du droit est, évidemment, liée à
l’arbitraire ce qui prouve que le Droit va très mal au Maroc. Car son
application n’est pas enracinée dans un État de Droit.
La portée générale de ce non Droit implique que la
liberté de la presse est inexistante au Maroc, elle est sujette à des humeurs
ou à des arrangements de politiciens . Si on ajoute ce qu’on appelle au Maroc
officiellement le « bloc sacré de légitimité constitutionnelle,
l’intégrité territoriale et le principe monarchique et l’islam » on peut
affirmer sans crainte de se tromper que tous les marocains sont en liberté
provisoire. Il est absolument interdit à tout marocain de commenter ou de
critiquer librement le contenu de ce triptyque.
Dans un État de Droit, le droit de la presse est
constitué par un ensemble de règles juridiques qui, d’une part, assurent le
respect du principe de la liberté de la presse et, d’autre part, répriment les
abus que peut engendrer l’usage de cette liberté. Ce principe de la liberté de
la presse est au même titre que la liberté de l’opinion, la liberté religieuse,
le droit d’opposition le droit de critique. Cependant, si sacrée qu’elle soit,
la liberté de la presse est réglementée dans un but de protection du citoyen et
de l’ordre public. À cet effet, elle peut faire l’objet, en cas d’abus, de
condamnation mais exclusivement par l’autorité judiciaire. Mais, il faut
prendre d’abord conscience et mesure de la notion de l’ordre public afin de
bien la définir avec précision y compris en temps de guerre et en période
d’état de siège où le gouvernement peut être amené à instituer un contrôle
étendu de la presse pour défendre la démocratie et ses institutions. Dans
l’intention d’éviter les publications d’informations inexactes ou de nature à
nuire à des tiers, le droit d’un État démocratique de Droit prévoit
l’institution d’un droit de rectification et d’un droit de réponse. Ces deux
droits ont ceci de commun, qu’ils permettent d’imposer à un journal ou à un
périodique quelconque l’obligation de publier dans ses colonnes, dans le
premier cas, la rectification d’une erreur ou d’une inexactitude commise dans
la relation d’actes de l’autorité publique, et, dans le second cas, la réplique
d’une personne mise en cause dans ce journal ou périodique. Ces deux droits
doivent être strictement réglementés par la loi. Le droit de rectification peut
être exercé par un dépositaire de l’autorité publique, à raison d’actes et de
fonctions qui auraient été inexactement rapportés par un journal ou un périodique. Au contraire, le
droit de réponse appartient à toute personne, physique ou morale, dès lors
qu’elle a été désignée et mise en cause dans les colonnes d’un journal ou d’un
périodique. Le droit de réponse dans une démocratie est un des droits
fondamentaux du citoyen. Car il permet à toute personne ( physique ou morale )
qu’un journal a mise en cause de faire valoir, auprès des lecteurs ses arguments et son point de vue, et de
faire aussi respecter sa personnalité.
Dans toute démocratie, il est bien connu que l’usage
de toute liberté est de nature à engendrer des abus et bien qu’on ait soutenu
que la liberté d’opinion est si essentielle pour un pays démocratique qu’il
vaut mieux supporter les abus de la presse
qu’on peut en faire que les réprimer par la création des délits ou des crimes de presse, il ne s’agit pas de
favoriser l’anarchisme auquel aucun législateur ne se rallie mais d’habiliter
la loi à définir le délit de la presse qui ne peut être jugé que par une
autorité judiciaire autonome. Les délits de la presse correspondent
généralement à trois impératifs, en premier lieu; protéger l’individu contre
les calomnies, la diffamation et l’injure. En second lieu, protéger l’État et
l’ordre social. Enfin, prévenir et réprimer toute atteinte à l’intimité de la
vie privée des citoyens.
Au Maroc, le Dahir de 1958 qui régit le droit de la
presse ( Dahir contesté depuis sa publication) s’il proclame la liberté de la
presse, n’en constitue pas moins un texte répressif à caractère arbitraire.
C’est un amalgame de textes destinés à museler toutes les voix de la liberté de
la presse.
Ce qui se passe actuellement au Maroc au sujet de
l’implication du premier ministre Mr YOUSSOUFI
à un éventuel régicide en 1972
relève d’un règlement de compte interne à l’U S F P. Seulement, le
makhzen peut exploiter ses rumeurs pour d’une part, provoquer des émotions et un sentiment de conciliation en
renforçant son autorité avec un écho public considérable et d’autre part, pour
instaurer des sentiments évanescents vis à vis des criminels responsables des
crimes commis pendant plus de 40 ans au nom d’une idéologie sécuritaire et par
conséquent de légitimer l’oubli .« ...Nous les marocains nous avons opté... pour une
réconciliation générale Nous ne voulons
pas de règlements de comptes » Propos tenus par le 1er ministre (LE MONDE du 21 /12/ 2000.)
La population pourrait se laisser convaincre et
admettre que le makhzen n’avait fait que de se défendre.
« Quand l’agneau danse
avec le loup »
Il était une fois
un agneau qui vivait au sein d’un troupeau entouré par des bergers et des chiens. Comme dans la
fable, il avait pour lui la raison, le droit et la justice . Un jour de 1997
l’agneau a décidé de rejoindre le loup qui vivait dans une bande bien organisée
et hiérarchisée. Du temps où l’agneau était faible, sa raison l’obligeait à
faire nombre avec d’autres faibles pour se défendre contre le loup. À cette
époque, ses journaux ont fait souvent l’objet de saisie en vertu des mêmes
Dahirs cités ci-dessus. Mais cet agneau ne faisait nombre avec ses semblables
que pour devenir à son tour fort. Il a toujours montré sa force par sa
patience, pour décourager le fort de l’anéantir complètement. En devenant à son
tour fort il a perdu sa raison d’agneau
. Il raisonne comme le fort car il gouverne sous ses ordres et utilise ses
mêmes moyens en vue d’accroître son pouvoir. L’intégration de notre ancien
faible à la raison du fort semble
s’effectuer aisément et rapidement, parce que finalement la raison de notre
ancien allié l’agneau n’est pas foncièrement différente de la raison du loup.
Aujourd’hui, les pas de danse de l’ancien agneau avec ceux du
loup sont en parfaite harmonie. Morale et raison se mettent donc à leurs services . Mais le loup à toujours raison de l’agneau
quel que soit son statut. Voila un exemple concret de la morale de la fable:
« Quand l’agneau danse avec le loup »
Mr YOUSSOUFI est bien placé pour admettre que, dans
ce cas, la raison du loup est honorable. En tant qu ‘ancien agneau, il ne peut
avoir raison du loup qu’en devenant plus fort que lui, ce qui relève de
l’impossible dans l’état actuel des circonstances.
Les plus faibles ont toutes les raisons de
s’interroger sur la signification de la danse de l’agneau avec le loup. Force
est de constater que la démocratie dont
on leur répète depuis 1977 ( date de la
première législature du « processus démocratique et paix sociale » )
qu’elle va venir et qui pourtant ne vient pas, leur inspire un sentiment de
trahison qui les plonge dans le
scepticisme depuis 24 ans.
L’agneau qui
danse avec le loup voit dans ce
constat des plus faibles un affront à son égard et une injustice intolérable
alors qu’auparavant, lorsque le parti de l’Istiqulal et les autres formations
dansaient volontairement avec le loup, ce même constat lui paraissait tout naturel et conforme à
l’ordre des choses. Mais aujourd’hui la danse de l’agneau avec le loup se
déroule dans un cadre aux dimensions plus étendues que celles de l’Istiqulal,
car il est ouvert à tous les donneurs de leçon de démocratie d’autrefois y compris les pseudomarxistes, les révisionnistes
,les nationalistes de tout bord, les républicains de droite et les républicains
de gauche en somme, quasiment tous les producteurs de la puissante idéologie
socialiste dont le discours a marqué toutes les générations de marocains depuis
1960. Cette puissance idéologique de l’U S F P souffre , à présent, du fait que
son organisation n’implique pas, heureusement, sa propre reproduction. Car son
recours aux couches populaires pour recruter ses membres, limite sa cohésion
.En effet, aujourd’hui sa direction est complètement coupée de sa base., laquelle lui fait grief de son
manquement au devoir, une fois arrivée
au pouvoir; de mettre en application ses leçons de démocratie.
Ce sont les dirigeants de l’U S F P qui nous
enseignaient que la pratique de la
démocratie permet de constituer la société en société humaine et que l’État
démocratique est l’ instrument de l’édification de cette humanisation sociale.
D’où le slogan de l’U S F P des années 1970 « Pour une démocratisation de
l’État et de la société». Or, l’État
makhzen est un État théocratique et
despotique. Son imperfection empêche la société de vouloir s’organiser autour
d’un projet démocratique, de s’inventer dans la liberté et de se réaliser dans sa diversité. En outre,
l’État makhzen s’oppose à toute action politique qui s’ordonne autour des
valeurs qui associent la liberté à la justice. Car l’État makhzen croit à une
seule vérité stable qui est la sienne. Il s’oppose donc à l’universalité qui est préalable à toute constitution
démocratique élaborée par une assemblée constituante représentative de toutes
les composantes des classes et des ethnies qui forment la société marocaine. La
liberté n’est possible et effective que si elle est reconnue par réciprocité,
cette reconnaissance mutuelle s’effectue par la mise de l’État démocratique au
service des citoyens alors que l’État makhzen n’est au service que de la classe
au pouvoir et de l’élite docile acceptant l’allégeance sans conditions
démocratiques afin de recevoir une part du surproduit confisqué aux masses
laborieuses marocaines.
Les mêmes dirigeants affirmaient que l’État doit
être l’éducateur pour la liberté en ce qu’il met en place les conditions qui
préparent à l’exercice de celle-ci ( pluralisme, liberté de conscience,
manifestation de conscience, éducation d’information, liberté de la presse et
d’aller et de venir) et qui, requièrent
cet exercice grâce aux débats à travers lesquels la démocratie s’inscrit
dans une finalité générale qui est la liberté de tous les marocains : liberté
des choix et liberté d’évaluation des gouvernants, liberté de choix de finalité
collective, liberté à travers les institutions de limiter l’action de l’État
par le Droit afin d’assurer la distinction entre la société civile et l’État.
L’État ne doit jamais s’identifier à la société c’est ce qu’on appelle le
principe d’extériorité, par lequel il est signifié que l’État n’est pas la
société. Toutefois, l’État makhzen ne reconnaît aucune diversité à la société.
Il se pose en tant qu’unité totalitaire
qui empêche toute autonomie à la société et par conséquent il s’oppose à
toute souveraineté de la société en l’occurrence le suffrage universel,
l’indépendance des juges, la primauté du Droit, le respect de la légalité et
d’appartenance des citoyens, le choix des citoyens qui reste ouvert à la remise
en question en ce qu’il n’y a pas de dernier mot possible de manière à ce que ,
le bien et le juste disposent d’un contenu inépuisable.
Mr Le 1er ministre, vous même, vous avez déclaré à
plusieurs reprises que l’incertitude caractérise l’ordre de la vérité politique,
tout pouvoir doit être séparé du savoir
absolu, toute loi est contestable, toute décision est critiquable et tout gouvernement est révocable car les
gouvernants étant de même nature que les gouvernés, ne sauraient être
infaillibles . Tout le tapage antimakhzen
de l’U S F P pendent 40 ans ne faisait que camoufler son impatience
d’attirer à lui les prébendes offertes
par le pouvoir monarchique. Il n’était
nullement question de scier les branches de l’esprit makhzen puisqu’il
entendait s’y installer lui-même. Ses
pratiques qui sont aux antipodes des anciennes leçons de ses dirigeants
sur la démocratie ainsi que sa
collaboration avec le pouvoir le jettent aujourd’hui dans la décharge de
l’Histoire. Or, la stagnation des affaires et la suspension éternelle des
réformes urgentes entraîneront d’autres
faillites et aggraveront le taux de chômage et la misère pour la
quasi-totalité des populations. La réaction populaire obligera le pouvoir et
son collaborateur l’USFP à utiliser des
solutions plus musclées.
Samady abdel- malik
CASABLANCA Le 20 / 12/ 2000