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Deux stratégies pour le changement démocratique

Une grande confusion règne dans les rangs des forces démocratiques alimentée par les forces qui ont intérêt à brouiller les cartes et par la perte des repères après l’avènement du roi Mohamed VI et les initiatives qu’il a lancées.

Aussi est-il de la plus haute importance de clarifier les enjeux actuels. A cet égard, il me semble que deux stratégies s’affrontent sous nos yeux. :

I)                   La stratégie du compromis « historique» avec le makhzen 

Le makhzen est une structure de pouvoir oppressive et foncièrement antidémocratique. Il ne peut se muer en force démocratique et de progrès. Ce qu’il tente de faire, c’est se moderniser pour s’adapter aux évolutions récentes ; en particulier à la mondialisation capitaliste, tout en conservant son essence oppressive et prédatrice.

Le compromis entre deux forces antagonistes est parfois nécessaire. Mais il ne peut être que conjoncturel, car ce qui règle la relation entre elles est la lutte et non le compromis, encore moins la collaboration. Or la stratégie du compromis suppose que l’alliance et la collaboration avec le makhzen sont devenues la règle, la lutte  étant l’exception dont la fonction est d’aboutir à un nouveau compromis. Donc pour les forces adoptant la stratégie du compromis avec le makhzen, les luttes populaires sont instrumentalisées pour servir à réaménager le compromis.  

La stratégie de compromis avec le makhzen a été théorisée de la manière suivante : au Maroc, coexistent deux légitimités (celles du makhzen et celle du mouvement national) se reconnaissant et se respectant mutuellement.  

Cette théorie nous semble erronée : D’abord, parce que c’est le « mouvement national » qui a fait concession sue concession au makhzen, ce dernier se contentant d’instrumentaliser , sinon de « makhzeniser » le premier. Ensuite, cette théorie est a- historique, la légitimité n’est pas un attribut ad vitam eternam de telle ou telle force.

Cette stratégie de « compromis » (en fait de compromission) avec le makhzen n’est pas nouvelle.

C’est elle qui a conduit le parti de l’Istiqlal à s’allier au makhzen pendant le combat pour l’indépendance et pendant les premières années suivant ce dernier. On sait quel a été le prix de cette alliance : avortement du combat de libération nationale, reprise en main du pays par l’impérialisme français et les classes dominantes compradores et néo-coloniales, liquidation sanglante des mouvements les plus radicaux : Résistance armée et armée de libération, remise en place et renforcement du système makhzen.

Cette stratégie de compromis, sinon d’alliance, avec le makhzen mise en œuvre par la direction du parti de l’Istiqlal et exprimant les intérêts de la bourgeoisie nationale a été dénoncée par le martyr Mehdi Ben Barka et a conduit à la constitution de l’Union Nationnale de Forces Populaires. Cependant, au sein de l’U.N.F.P., en raison du flou idéologique et de la nature de classe de cette formation largement dominée par la petite bourgeoisie, vont s’affronter la stratégie du compromis et celle de la confrontation et de la rupture avec le makhzen.

Ce n’est que dans la deixième moitié des années soixante –dix et à la faveur de la question du Sahara et grâce à la féroce répression des forces radicales (mouvement du 3 mars 1973 et mouvement marxiste-léniniste) marocain) que dominera au sein de cette formation la stratégie de compromis conduisant, non sans contradictions, surtout avec l’émergence de la C.D.T et des radicaux, à l’intégration au sein du prétendu processus démocratique. Nous savons que cette stratégie a servi les intérêts du makhzen et des classes dominantes qui ont pu renforcer leur domination alors que l’écrasante majorité du peuple, dont de larges couches au sein  des classes moyennes, subissaient une répression et un appauvrissement sans précédant.

Cependant, la longue résistance du peuple marocain et de ses militants sincères dans les prisons, les usines, les universités … confortée par la pression internationale en faveur des droits humains et de la démocratie va conduire à la fin de années 80 à un formidable mouvement de masse permettant d’arracher des acquis dans le domaine des libertés.

Une véritable percée démocratique était possible si les forces principales de la Koutlah n’avaient pas recouru, à nouveau, à la politique de compromis qui a permis au makhzen de reprendre l’initiative et d’imposer ses conditions ( une constitution antidémocratique dans son élaboration, son contenu et son mode d’adoption, un processus électoral entièrement contrôlé par le makhzen, des élections truquées , un gouvernement dit d’alternance appuyé à une majorité parlementaire contre – nature ne disposant pas de réels pouvoirs puisque le pouvoir réel appartient au roi, à ses conseillers, aux ministres dits de souveraineté, aux gouverneurs et wallis…).

Actuellement, en dépit des échecs successifs de cette stratégie, les forces démocratiques, à l’exception du Parti de l’Avant-Garde Démocratique et Socialiste et Annahj Addimocrati, ne semblent trouver de salut en dehors de l’alliance avec le nouveau makhzen, l’ennemi devenant déliquescent : « poches de résistance au changement » pour certains, « traditionnalisme » pour d’autres…

Dans ces analyses, le makhzen, en tant que structure de pouvoir qui s’est infiltrée par tous les pores de notre société et a renforcé son emprise sur le pays, s’est, comme par enchantement, évanoui.  

II)                 La stratégie de rupture avec le makhzen :

Cette stratégie, pour réussir, doit tirer les leçons des dures luttes menées contre le makhzen par les courants radicaux au sein du mouvement national et par la nouvelle gauche.

Ces leçons peuvent se résumer comme suit :

Il n’y aura pas d’avancée décisive vers la démocratie au Maroc sans démantèlement du makhzen. Toute politique visant à composer avec lui conduit à le renforcer et à affaiblir les forces démocratiques.

Le combat contre le makhzen ne doit pas être mené uniquement par un petit groupe de militants d'avant-garde, mais doit impliquer toutes les forces politiques et sociales ayant intérêt à l’instauration d’un régime démocratique. Les classes laborieuses qui souffrent le plus de l’exploitation et de l’oppression et ont, par conséquent, le plus besoin de démocratie, doivent être au centre de ce combat et en assurer la direction.

Les moyens pour combattre le makhzen doivent se baser sur la lutte démocratique. C’est par l’approfondissement de la lutte démocratique, son extension à tous les domaines , le refus de toute concession sur les principes démocratiques, la dénonciation ferme des lignes rouges et autres tabous ou limitations à l’exercice de la démocratie par notre peuple que le makhzen pourra être vaincu.

Les forces politiques capables de mener à bien ce combat sont les forces réellement démocratiques respectant la démocratie en leur sein, dans leurs relations avec les organisations de masse, les mouvements sociaux, les secteurs sains de la société civile, ainsi que dans leurs alliances avec les autres forces démocratiques.

Ce credo démocratique constitue la garantie d’une lutte conséquente et sans concession contre le makhzen et la condition sine qua non pour le rassemblement d’un vaste pôle démocratique radical capable de diriger ce combat.

                                                                                                 Abdellah El Harif 

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