Deux stratégies pour le changement démocratique
Une grande confusion règne dans les rangs des forces démocratiques alimentée par les forces qui ont intérêt à brouiller les cartes et par la perte des repères après l’avènement du roi Mohamed VI et les initiatives qu’il a lancées.
Aussi est-il de la plus haute importance de clarifier les enjeux actuels. A cet égard, il me semble que deux stratégies s’affrontent sous nos yeux. :
Cette théorie nous semble erronée : D’abord,
parce que c’est le « mouvement national » qui a fait concession sue
concession au makhzen, ce dernier se contentant d’instrumentaliser , sinon de
« makhzeniser » le premier. Ensuite, cette théorie est a- historique,
la légitimité n’est pas un attribut ad vitam eternam de telle ou telle force.
Cette stratégie de « compromis » (en fait
de compromission) avec le makhzen n’est pas nouvelle.
C’est elle qui a conduit le
parti de l’Istiqlal à s’allier au makhzen pendant le combat pour l’indépendance
et pendant les premières années suivant ce dernier. On sait quel a été le prix
de cette alliance : avortement du combat de libération nationale, reprise
en main du pays par l’impérialisme français et les classes dominantes
compradores et néo-coloniales, liquidation sanglante des mouvements les plus
radicaux : Résistance armée et armée de libération, remise en place et
renforcement du système makhzen.
Cette stratégie de
compromis, sinon d’alliance, avec le makhzen mise en œuvre par la direction du
parti de l’Istiqlal et exprimant les intérêts de la bourgeoisie nationale a été
dénoncée par le martyr Mehdi Ben Barka et a conduit à la constitution de l’Union
Nationnale de Forces Populaires. Cependant, au sein de l’U.N.F.P., en raison du
flou idéologique et de la nature de classe de cette formation largement dominée
par la petite bourgeoisie, vont s’affronter la stratégie du compromis et celle
de la confrontation et de la rupture avec le makhzen.
Ce n’est que dans la
deixième moitié des années soixante –dix et à la faveur de la question du
Sahara et grâce à la féroce répression des forces radicales (mouvement du 3
mars 1973 et mouvement marxiste-léniniste) marocain) que dominera au sein de
cette formation la stratégie de compromis conduisant, non sans contradictions,
surtout avec l’émergence de la C.D.T et des radicaux, à l’intégration au sein
du prétendu processus démocratique. Nous savons que cette stratégie a servi les
intérêts du makhzen et des classes dominantes qui ont pu renforcer leur
domination alors que l’écrasante majorité du peuple, dont de larges couches au
sein des classes moyennes, subissaient
une répression et un appauvrissement sans précédant.
Cependant, la longue
résistance du peuple marocain et de ses militants sincères dans les prisons,
les usines, les universités … confortée par la pression internationale en
faveur des droits humains et de la démocratie va conduire à la fin de années 80
à un formidable mouvement de masse permettant d’arracher des acquis dans le
domaine des libertés.
Une véritable percée
démocratique était possible si les forces principales de la Koutlah n’avaient
pas recouru, à nouveau, à la politique de compromis qui a permis au makhzen de
reprendre l’initiative et d’imposer ses conditions ( une constitution
antidémocratique dans son élaboration, son contenu et son mode d’adoption, un
processus électoral entièrement contrôlé par le makhzen, des élections truquées
, un gouvernement dit d’alternance appuyé à une majorité parlementaire contre –
nature ne disposant pas de réels pouvoirs puisque le pouvoir réel appartient au
roi, à ses conseillers, aux ministres dits de souveraineté, aux gouverneurs et
wallis…).
Actuellement, en dépit des
échecs successifs de cette stratégie, les forces démocratiques, à l’exception
du Parti de l’Avant-Garde Démocratique et Socialiste et Annahj Addimocrati, ne
semblent trouver de salut en dehors de l’alliance avec le nouveau makhzen,
l’ennemi devenant déliquescent : « poches de résistance au
changement » pour certains, « traditionnalisme » pour
d’autres…
Dans ces analyses, le
makhzen, en tant que structure de pouvoir qui s’est infiltrée par tous les
pores de notre société et a renforcé son emprise sur le pays, s’est, comme par
enchantement, évanoui.
II)
La stratégie de rupture avec
le makhzen :
Cette stratégie, pour
réussir, doit tirer les leçons des dures luttes menées contre le makhzen par
les courants radicaux au sein du mouvement national et par la nouvelle gauche.
Ces leçons peuvent se
résumer comme suit :
Il n’y aura pas d’avancée
décisive vers la démocratie au Maroc sans démantèlement du makhzen. Toute
politique visant à composer avec lui conduit à le renforcer et à affaiblir les
forces démocratiques.
Le combat contre le makhzen
ne doit pas être mené uniquement par un petit groupe de militants
d'avant-garde, mais doit impliquer toutes les forces politiques et sociales
ayant intérêt à l’instauration d’un régime démocratique. Les classes
laborieuses qui souffrent le plus de l’exploitation et de l’oppression et ont,
par conséquent, le plus besoin de démocratie, doivent être au centre de ce
combat et en assurer la direction.
Les moyens pour combattre le
makhzen doivent se baser sur la lutte démocratique. C’est par
l’approfondissement de la lutte démocratique, son extension à tous les
domaines , le refus de toute concession sur les principes démocratiques, la
dénonciation ferme des lignes rouges et autres tabous ou limitations à
l’exercice de la démocratie par notre peuple que le makhzen pourra être vaincu.
Les forces politiques
capables de mener à bien ce combat sont les forces réellement démocratiques
respectant la démocratie en leur sein, dans leurs relations avec les
organisations de masse, les mouvements sociaux, les secteurs sains de la
société civile, ainsi que dans leurs alliances avec les autres forces
démocratiques.
Ce credo démocratique
constitue la garantie d’une lutte conséquente et sans concession contre le
makhzen et la condition sine qua non pour le rassemblement d’un vaste pôle
démocratique radical capable de diriger ce combat.
Abdellah El Harif