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Le Makhzen : rempart contre la démocratie

         Le Maroc peut-il faire l’économie d’une véritable rupture avec le système makhzen ? En d’autres termes, peut-on faire évoluer ce système vers un véritable système démocratique ou bien le démantèlement de ce système est-il un prérequis pour une réelle et irréversible avancée vers la démocratie ?

            Les faits récents sont venus rappeler les dures réalités :

En dépit d’acquis démocratiques arrachés de haute lutte et ayant permis de desserrer l’étau  de la répression et de la terreur, le makhzen tient toujours le haut du pavé et détient la réalité du pouvoir. Voilà comment il décline le mot « démocratie » :

Oui pour une démocratie réservée à une élite urbaine, mais qu’elle ne s’avise pas de dépasser certaines lignes rouges comme de demander que toute la lumière soit faite sur les crimes perpétrés contre les milliers de militants et de citoyens marocains enlevés par les sinistres services de renseignements, torturés, parfois, jusqu’à ce que mort s’en suive, gardés, pendant des années, dans les bagnes immondes, traités comme des sous-hommes .

L’épisode Boukhari – quoiqu’on puisse dire des arrière-pensées et des objectifs du personnage- montre la limite de tolérance du système dans ce domaine.

Que l’on ait le courage de réclamer que des tortionnaires soient jugés, et le système makhzen entre en action : la violence s’abat sur les militants de l’A.M.D.H. qui se trouvent poursuivis et condamnés à de dures peines de prison.

Oui pour les libertés d’organisation, de réunion….mais n’en bénéficient réellement que ceux qui ont les faveurs du makhzen, les autres sont au mieux tolérés, au pire combattus. Quant au droit à manifester pacifiquement, ne serait ce qu’en solidarité avec l’Intifada, l’interdiction est de règle.

Plus grave encore, d’après ce qui a filtré sur les nouveaux codes de la presse et des libertés publiques (associations, partis, …), des articles particulièrement contraires aux droits humains auraient été introduits risquant d’en faire de véritables lois scélérates.

Oui pour une démocratie réglée par une constitution anti-démocratique dans son élaboration, son contenu et son adoption légalisant le pouvoir personnel et le despotisme du makhzen.

Oui pour combattre la corruption à coups de conférences, séminaires, débats, résolutions et commissions parlementaires d’enquêtes, mais dont les conclusions sont édulcorées pour protéger les barons du système et qui ne sont, en aucun cas, suivies d’effet. Quant à ceux qui ont pillé l’argent et le patrimoine publics (détournements de fonds, agréments, autorisations et autres faveurs, fraudes et magouilles en tous genres) ou utilisé leurs pouvoir pour protéger des activités illicites, sinon criminelles (drogue, contrebande, …), malheur à celui qui demande qu’ils soient jugés. Pourtant, depuis 1983 et les programmes d’ajustement structurels, notre peuple paie le prix fort cette criminalité économique : coupes sombres dans les budgets de l’enseignement, de la santé et autres services pour payer le service de la dette, gel des salaires, hausses des prix…. entraînant des conséquences dramatiques sur toute une génération condamnée à l’ignorance, au chômage et parfois obligée pour s’évader de cette réalité, à la drogue, au suicide et à l’émigration clandestine.

Ceux qui s’attirent les foudres du systèmes makhzen sont en plus des militants sincères se battant pour la démocratie et les droits humains, les citoyens marocains qui osent, pour faire aboutir leurs revendications, légitimes, (diplômés, handicapés ou non – voyants en chômage réclamant un emploi, ouvriers défendant leur emploi  ou demandant une amélioration de leur situation, étudiants…) dépasser le stade des suppliques adressées aux responsables ou à la presse et organiser des sit-in ou des marches pacifiques.

Pourquoi notre pays en est-il arrivé là ? Serait - ce une malédiction ? « l’exception marocaine » serait-elle faite d’immobilisme : velléités de réforme suivies de retours en arrière ?

Je ne le crois pas. Je pense que cette situation est le résultat d’erreurs, de manque de vision et de courage, de compromissions, sinon de lâcheté (les déclarations de Boukhari, pour contestables qu’elles puissent être, lèvent un côté du voile sur cette sordide réalité).

Il me semble que la première grave erreur consiste à croire que le système makhzen, puisse être réformé et d’accepter, en conséquence, de le changer de l’intérieur.

Est-il besoin de rappeler ici les erreurs stratégiques du mouvement national qui ont permis au makhzen, largement discrédité pour sa collaboration avec le colonialisme, de reprendre le dessus après l’indépendance formelle du pays ?

Tous les compromis passés avec le makhzen ne se sont-ils pas transformés en compromissions ? N’ont-ils pas été habilement utilisés par le makhzen pour ce renforcer ? Rappelez-vous le fameux « processus démocratique » entamé au milieu des années 70 : a-t-il empêché que les pires atrocités soient commises dans les prisons, les bagnes secrets, les commissariats ? A-t-il  aidé au triomphe des libertés et des droits humains ou a-t-il au contraire, couvert les pires crimes contre nos citoyens et permis que se mette en place un quadrillage plus serré de la société par le makhzen ? A-t-il apporté plus de prospérité à notre peuple ou a-t-il accordé au makhzen plus de tranquillité pour mettre le pays en coupe réglée ? A-t-il permis que le makhzen devienne plus démocratique ou a-t-il contribué à « makhzéniser » des courants ou sein des forces démocratiques et à diffuser l’idéologie et la mentalité makhzen au milieu des couches populaires ? « L’alternance » qualifiée par certains de « consensuelle » et la « nouvelle ère » ont–elles tenu leurs promesses ? Le désespoir, et pas seulement de la jeunesse, a-t-il jamais été aussi  profond qu’aujourd’hui ? Les photos macabres des « Haragas » que nous voyons presque chaque jours en sont la manifestation extrême et combien pénible.

La deuxième leçon est que le makhzen ne peut être démantelé sans la mobilisation du peuple, et à sa tête ceux qui souffrent le plus de l’oppression et de l’exploitation, les classes laborieuses. Le combat des militants sincères et courageux n’aboutira pas taut qu’ils seront incapables de s’enraciner au sein du peuple. Et cet enracinement ne peut être que le résultat de la participation de ces militants à l’organisation des luttes populaires quotidiennes visant à exiger ou défendre leurs droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.

Toute tentative de séparer la lutte pour les libertés et la démocratie de la lutte pour défendre les conditions de vie des masses populaires ne peut que contribuer à l’isolement des militants et à les  transformer, à leur corps défendant, en intellectuels de salon ou de café.

C’est pourquoi, les alliances politiques nécessaires doivent se faire sur des bases claires pour éviter les erreurs et les dérives des partis issus du mouvement national. Il doit être clair pour tous que le combat pour la démocratie passe par le démantèlement du makhzen  et que cette tâche colossale ne peut être réalisée sans l’entrée dans l’arène politique des classes laborieuses et populaires. C’est à cette tâche exaltante que devraient s’atteler tous les militants démocrates sincères . L’intervention de la société civile, dans sa configuration actuelle du moins, sans être négligeable, ne peut être déterminante parce qu’elle reste, en grande partie, élitiste et est constituée d’organisations très différentes les unes des autres : organisations combatives et structurées, organisations créées par des opportunistes ayant compris qu’ils pouvaient les utiliser comme canal pour drainer des fonds, surtout étrangers, organisations créées à l’instigation du makhzen et dépendant de lui…

                                                                    Abdallah El Harif

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