ETRE DE GAUCHE AU MAROC AUJOURD’HUI : éléments
d’un programme
Au
moment où l'offensive idéologique du capitalisme mondialisé bat son plein
contre le socialisme et vise à accréditer la thèse fallacieuse de « fin
des idéologies » por tenter de pérenniser la victoire éphémère de la
pensée unique, l'idéologie du libéralisme sauvage, les frontières entre
« gauche » et « droite » sont systématiquement occultées et
les contradictions de classe purement et simplement niées pour laisser place à
une prétendue opposition entre « moderniste » et
« « conservatisme ». Aussi est-il urgent et nécessaire de
redéfinir l'identité de gauche. Il me semble qu’au cœur de cette identité ce
trouve l'engagement clair et inébranlable aux
côtés des masses laborieuses, des producteurs et des créateurs, et
contre les classes parasitaires, rentières et exploiteurs, l'engagement ferme
et résolu dans la lutte pour une démocratie réelle garantissant l’exercice des
droits humains dans tous les domaines civils, politique, économiques, sociaux
et culturels.
Plus
que de longs discours, être de gauche, au Maroc aujourd’hui, exige de se
regrouper pour lutter pour la réalisation d’un programme ambitieux qui articule
la lutte pour la démocratie au combat contre les inégalités sociales et pour un
développement économique endogène.
A
cet égard, je propose les axes suivants d’un programme :
1) Reforme constitutionnelle au Maroc :
La
constitution devrait incarner la volonté du peuple marocain en tant que
détenteur de la souveraineté et source de tous les pouvoirs, instituer une
véritable séparation des pouvoirs, reconnaître la langue et la culture amasigh comme
langue et culture nationales, assurer l’égalité entre l’homme et la femme sur
tous les plans et garantir ces droits spécifiques comme femme et mère.
Elle
devrait permettre de mettre en place un véritable état de droit, un pouvoir
législatif disposant d ‘un réel pouvoir de légiférer et issu d’élections
libres et honnêtes, un pouvoir exécutif émanant de ce pouvoir législatif,
contrôlé et responsable devant lui et ayant toute latitude pour définir et
exécuter la politique de l’état, et d’un pouvoir judiciaire totalement
indépendant des pouvoirs législatif et exécutif. Le pouvoir exécutif doit avoir
autorité sur l’administration territoriale et sur tous les rouages de l’état
(administrations, offices publics, appareils de sécurité, armée…).
La
constitution devrait également reconnaître le maximum d’autonomie sur les plans
économiques, politiques et culturels aux régions ayant une personnalité propre
forgée tout au long du processus de formation de la nation marocaine (Le Rif,
Le Sous et les Zayanes). Elle devrait permettre l’instauration d’une véritable
démocratie aux niveaux local, provincial et régional basée sur le principe de
l’élection. Cette constitution devrait être élaborée par une assemblée
constituante démocratiquement élue.
2) Libertés publiques :
En
vue d’impulser une dynamique positive en matière de libertés publiques, il est
nécessaire de libérer tous les prisonniers politiques, faire toute la lumière
sur les graves violations des droits humains tout au long des années de plomb
(disparitions, fosses communes des soulèvements populaires celles du Rif, de
Casablanca en 1965 et 1981 et d’autres, tortures, conditions inhumaines de
détention…), remettre les dépouilles des disparus morts à leurs familles et
libérer ceux qui sont encore en vie, juger les responsables de ces crimes
commis, démanteler les appareils policiers responsables de ces crimes et soumettre tous les appareils de sécurité
au contrôle du gouvernement et des instances représentatives démocratiquement
élues, refondre le code des libertés publiques, le code de la presse, le code
de la procédure pénale… pour les mettre en conformité avec les traités et
conventions relatives aux droits humains.
3) Lutte contre les inégalités sociales :
Il
ne peut y avoir de nivellement des inégalités sociales sans une remise en cause
radicale et globale du système économique (capitalisme dépendant) et du régime
politique maghzénien dominants et l’établissement du socialisme. Cependant,
cette remise en cause peut, dans l’étape actuelle, embrasser les domaines
suivants :
-
Une réforme agraire
radicale limitant la propriété des terres et distribuant la terre aux petits
paysans et paysans sans terre et les soutenant pour améliorer leur
productivité, la participation des ouvriers agricoles à la gestion des fermes.
-
Une diminution
importante des budgets de la sécurité et de la défense, la lutte contre le
gaspillage, la réduction du service de la dette et l’affectation des ressources
ainsi libérées vers la promotion d’activités productives et le développement
des secteurs sociaux stratégiques (enseignement, santé, logement).
-
La récupération des
fonds et biens publics pillés par les responsables et leurs acolytes et
l’affectation aux même utilisations précédentes.
-
L’annulation des impôts
sur les faibles revenus et leur augmentation sensible sur les hauts revenus,
surtout provenant des activités non productives.
-
L’annulation des
impôts indirectes sur les produits de consommation populaire et leur forte
augmentation sur les produits de luxe.
-
La réduction des
disparités entre salaires dans la fonction publique de telle sorte que le plus
haut salaire ne dépasse pas cinq fois le plus bas.
-
La revalorisation des
salaires en fonction du coût de la vie.
-
La garantie de la
gratuité et de la qualité de l’enseignement dans tous ses cycles et des soins
de santé pour les classes populaires.
-
L’éradication de la
spéculation foncière, des bidonvilles et la mise en place d’une politique
permettant la fourniture de logements décents à des loyers ne dépassant pas le
un cinquième des revenus des travailleurs.
4) Développement économique :
Le programme de la gauche devrait accorder une attention
particulière au développement économique en :
a)
luttant contre
l’extrême monopolisation de l’économie marocaine contrôlé par quelques familles à la tête des grands groupes contrôlant des
groupes (ONA, WAFABANK, Groupe Othman Ben Jelloun,...).
b)
nationalisant les
secteurs stratégiques (ystème bancaire et financier, secteurs de l'aenergie et
de télécommunications…)
c)
combattant l’économie
de rente, d’agréments, d’autorisations administratifs et les passe-droits et
corruption auxquels elle conduit.
d)
mettant fin à la
dépendance financière, économique, commerciale et technologique vis-à-vis du
capitalisme mondial, et ce ci en :
-
négociant la dette extérieure en vue d’en annuler une grande partie et de
transformer le reste en bons à long
terme et à très faible taux d’intérêt de telle sorte que le service de la dette
extérieure ne dépasse pas 10% des exportations ;
-
renégociant l’accord avec l'Union Européenne dans le sens de la mise en place
d’un véritable partenariat.
-
reprennant avec force les effets pour la construction du Grand Maghreb pour présenter un front uni lors de ces
négociations et en développant les complémentarités entre les économies des
différents pays du Maghreb ;
e)
Mettant en place une
politique économique incitant à la valorisation des richesses nationales en vue
de répondre, provisoirement, aux besoins de la population aussi bien au niveau
de l’agriculture, l’agro-industrie, la pêche, les industries de transformation
et de valorisation des minerais. En particulier, le Maroc dispose d’atouts
énormes sur le plan de la pêche (façades maritimes s’étendant sur des millions
des kilomètres) et du tourisme
(patrimoine historique, diversité culturelle, diversité des paysages :
plages, montagnes, oasis, désert,…) mais qui sont dilapidés par la main mise de
mafias makhzen liées à des groupes internationaux ;
f)
Créant les conditions
favorables à l’investissement : réduction des taux d’intérêt, prix du
foncier plus raisonnable en combattant la spéculation foncière… ;
g)
Investissant dans le
domaine des infrastructures économiques et sociales (routes pour désenclaver,
alimentation en eau potable, électrification rurale, dispensaires et écoles
ruraux…) ;
h)
Investissant dans la
formation aux nouvelles technologies (informatique, télécommunications…)
indispensable pour impulser le développement économique ;
5) Chantiers sociaux prioritaires :
Le
premier et le plus grave problème sur le plan social est le chômage. Aussi le
premier chantier social est il l’action en vue de le réduire, ceci, d’une part
en relançant le développement économique comme indiqué paragraphe précèdent,
mais aussi en répondant à des besoins sociaux énormes et insatisfaits (en
matière d’éducation, de santé, de logement…).
Le
deuxième problème est l’éducation qui doit se baser sur la généralisation de la
scolarisation, la garantie de la gratuité pour assurer l’égalité des chances,
la garantie de la qualité par la motivation et la participation du corps
enseignant, le développement du contenu scientifique, de l’esprit critique et
des capacités créatrices et d’adaptation des jeunes qui sont nécessaires dans
un monde en mutation rapide.
Le
troisième chantier est la santé et l’hygiène en donnant la priorité à la
prévention médicale, équipant les zones rurales actuellement délaissées en
majorité, en mettant en place les infrastructures (assainissement, eau potable,
bonification du marécages) nécessaires, en luttant contre la pollution, en
mettant en place une législation garantissant la prévention des maladies et
accidents du travail, en généralisant le plus possible la couverture médicale,
en assurant une protection médicale spéciale aux enfants, vieillards et aux
femmes enceintes.
Le
quatrième chantier social est le logement dont la solution ne peut se faire
sans combattre les mafias makhzen (spéculation foncière, construction
« illégale »…). L’objectif est de combattre les bidonvilles et autres
types d’habitat insalubre, de mettre en place une politique permettant de
fournir des logements décents à des prix au loyer raisonnables. Dans ce cadre,
il est nécessaire de développer des méthodes et matériaux de construction
meilleurs marchés en se basant sur le savoir-faire et matériaux locaux et en
les améliorant.
6) Sur le plan des relations extérieures :
L'objectif et de développer les relations avec les forces
anti-impérialistes, anti-sioniste et anti-colonialistes dans le monde et
d’appuyer leurs luttes ;
-
combat des peuples du
monde arabe, et à leur tête le peuple palestinien, contre l'entité sioniste et
l'agression et le blocus impérialiste contre l'Irak et la Lybie ;
-
combat du mouvement
anti-mondialisation contre le libéralisme sauvage ;
-
combat des peuples
opprimés et des classes ouvrières contre l'offensive capitaliste.
7) Alliances politiques :
Pour
réaliser ce programme, les forces de gauche doivent tisser des alliances. Ces
alliances peuvent se baser sur des programmes ou même des objectifs plus
ponctuels communs.
Nous
distinguons trois types d’alliances :
-
Le premier type se base sur l’adhésion au socialisme scientifique, la lutte
pour la construction de l’organisation politique autonome de la classe ouvrière
et des masses laborieuses. Nous visons à l’unification avec les forces qui
partagent ces credos et ouvrent à l’enracinement au sein de ces classes.
-
Le deuxième type d’alliance est le pôle démocratique qui est une alliance qui
doit embrasser toute une phase historique : le combat pour la démocratie.
Toutes les forces qui luttent pour une démocratie véritable et qui s’opposent
au libéralisme sauvage doivent, à notre avis, s’unir sur la base d’un
programme.
-
Le troisième type est conjoncturel et se rapporte à une question déterminée et
concerne toutes les forces nationales.
Concernant
les mouvements islamistes, il ne faut pas oublier qu’ils ont été créés, sinon
encouragés par l’impérialisme surtout américain, et les régimes à son solde
(Arabie Saoudite, Pakistan) et utilisés par les régimes locaux pour combattre les
socialistes et les démocrates et que leur projet (toutes tendances confondues)
est l’établissement d’un état théocratique. Or tout état est par nature,
répressif, car exprimant et défendant les intérêts des classes dominantes. S’il
se pare de la société religieuse, la porte est ouverte à toutes les dérives
dictatoriales. Ainsi, tant que les islamistes, désirent, même si c’est par la
voie des élections, instaurer un régime théocratique, nous ne pouvons envisager
ni des relations pérennes, ni de circonstance avec eux. S’ils se transforment,
à l’instar par exemple de la démocratie chrétienne européenne, en partis
politique ayant une sensibilité religieuse, alors nous pouvons avoir des
relations avec eux.
Casa le 15 juillet 2002
Abdellah Harif